Nous sommes à San Francisco, quartier Haight Ashbury, sanctuaire du mouvement hippie. En 1967, année du Summer of Love, au rythme de « Sgt Peppers » des british Beatles, quelques innovateurs ont sans doute songé à un amour qui se vivrait sur l’eau, sans quitter sa chambre.
À vrai dire, c’est un peu par hasard que Charles Prior Hall et quelques autres étudiants en design élaborèrent l’année suivante un Waterbed, un lit à eau. Nous connaissons ces poufs remplis de billes de polyester, et qui peuvent prendre diverses formes. L’idée de Charles Hall était de créer une sorte de siège souple qu’il remplit de différents matériaux, sans obtenir le confort recherché. Et puis lui vint l’idée d’utiliser l’eau, dont on peut imaginer qu’elle le fit naturellement voguer vers l’idée du matelas.
Le reste fut un coup génial de marketing, comme on sait en faire en Californie (rappelons-nous le Macintosh d’Apple, « la machine qui apprend l’homme ») : le waterbed devint « Pleasure Island » (Ile du plaisir) ou même « fosse aux plaisirs ». « Groovy and sexy », disait-on. Un instrument de plaisir autant que de confort, et la garantie de nuits agréablement agitées.
Au début, les hippies, grands adeptes du « sex, drugs ans rocknroll », mais certains hôtels pour leurs chambres ou suites nuptiales, étaient les premiers clients Charles Hall et de ses concurrents (ses brevets ne surent protéger son invention). Hugh Hefner, fondateur du magazine Playboy, icône de l’hédonisme, était fier de son waterbed king size. Mais aux États-Unis, le phénomène prit de l’ampleur à l’orée des années 1970, jusqu’à représenter 22 % des ventes de matelas en 1987.
Outre-Atlantique, le lit à eau fut un des objets emblématiques de la Pop culture, avant de tomber quasiment en désuétude au milieu des années 1980. Il faut dire que quelques épisodes de crevaison inopportune ont fait chavirer l’objet si sexy dans la moquerie, et que l’évolution des technologies des ressorts ensachés, des mousses ou latex ont bousculé la hiérarchie du confort allongé. Pourtant, les lits à eau avaient quelques avantages, en particulier celui de faire varier la fermeté du matelas en jouant sur la quantité d’eau. En outre, l’eau pouvait être chauffée ou refroidit à volonté, avec la contrepartie d’une surconsommation électrique. À cela s’ajoute un inconvénient de poids, au sens propre comme au sens figuré : avec plus de 500 kilos par personne, la chose est indéplaçable sans vidange préalable. Et il faut espérer que le plancher tienne en cas d’ébats trop tempétueux. Le clou (dans le matelas) est peut-être le film d’horreur « le cauchemar de Freddy », où une victime du célèbre tueur finit noyée dans son matelas !
Le souci de vérité historique oblige toutefois à préciser que l’idée d’allonger une personne sur une sorte de fine poche remplie d’eau est européenne : on la doit à un médecin écossais, Neil Arnott, qui conçut au début du XIXème siècle une toile imperméable contenant de l’eau, au bénéfice des invalides et malades obligés de garder la position allongée. L’objectif poursuivi fut notamment de prévenir les escarres. Le lit traversa ensuite l’atlantique, et on en retrouve trace dans un article de Mark Twain publié dans le New York Times en 1871.
Finalement, même si on trouve encore des lits à eau, ce mode de couchage était peut-être plus adapté à son usage sanitaire primitif. Mais reconnaissons qu’il sut faire fantasmer une génération d’Américains. Quel lit n’en rêverait pas ?!
Raymond Taube