Oeuvre de Lord Frederic Leighton
Objet de nombreuses recherches, le sommeil, clé d’une bonne hygiène de vie, se retrouve souvent disséqué dans les journaux santé. Les règles de l’art de dormir nous y sont exposées, de la durée idéale aux conditions les plus propices, en passant par la qualité de la literie évidemment.
La science s’intéresse à tout. Née de la curiosité indomptable de l’homme, celle-là même qui lui a coûté sa place au jardin d’Eden, elle répond à ses peurs, à son désir de contourner, voire d’abolir, les lois de la « création » et à son besoin de contrôle. Elle incarne pour lui la promesse d’être un jour le maître de son destin et pourquoi pas de l’univers. Nul mystère n’est donc à l’abri de sa manie de fouiner.
On pourrait imaginer à cette introduction que je déteste la science et que je m’en défie. Que nenni ! Je l’adore. Je ne suis pas ingrate. Je reconnais ses bienfaits. En matière de santé, de confort, en particulier. Cependant, elle a ses limites. Ou plutôt, nos limites. En effet, ceux qui la servent tendent, en son nom, à nier ce qu’ils ne peuvent pas expliquer, à généraliser et à dogmatiser, lui vouant une foi exclusive qui ne manque pas de rappeler, par son intolérance, celle que d’aucuns vouent à leur Dieu.
Les spécialistes du sommeil n’échappent pas à ce travers. Heureusement qu’il arrive que leurs avis divergent. Heureusement aussi que l’homme voyage, explore et communique. Car, grâce à ces incursions dans d’autres civilisations, nous comprenons que notre manière de dormir ne dépend pas seulement de notre physiologie, mais aussi de nos traditions, elles-mêmes fortement impactées par notre environnement, notamment le climat.
Ainsi, selon les études réalisées en occident, nous aurions besoin de passer une demi-heure au calme avant l’endormissement afin de profiter au mieux de notre nuit. Les professionnels considèrent le silence et l’obscurité comme garants de notre repos et préconisent huit heures de sommeil en moyenne, d’une seule traite, autant que possible. Sous l’influence croissante de l’orient dans le domaine du bien-être, la sieste, ces dernières années, a redoré son blason, mais elle demeure principalement le privilège de certains âges – les très tendre et très grand. Enfin, jaloux de notre intimité, nous ne partageons notre couche qu’avec un heureux élu et quelquefois, rarement, aussi avec nos enfants.
Pourtant, ce que je viens de décrire, silence, solitude, obscurité, serait un pur cauchemar pour nos frères humains du Grand Nord ou de certaines régions d’Afrique, et d’autres encore sans doute. Par exemple, les Inuits, qui vivent autour du cercle polaire, dorment ensemble, parents, enfants, grands-parents, amis parfois aussi, serrés les uns contre les autres afin de se tenir chaud, sur une plate-forme et des peaux de bêtes, avec une veilleuse allumée. Durant l’été polaire et ses nuits blanches de mai à août, ils profitent de chaque instant de vie et de lumière, rognant sur les heures de sommeil qui, chez eux, a mauvaise presse. Dans beaucoup d’autres cultures, il ne fait pas bon dormir seul, dans certaines, c’est un grand malheur, comme chez les Balinais qui vont jusqu’à « prêter » leurs enfants aux anciens sans famille, pour leur épargner cette souffrance.
Quant aux rythmes du sommeil, ils varient eux aussi. Chez les Kung du Kalahari, il n’y a pas d’horaires. Même pas pour les enfants. On s’y couche à tout âge quand on en a envie, quand la conversation tarit, que les chants ou danses cessent. Et l’on est prêt à s’y lever dès qu’une activité intéressante s’annonce. Il n’y est pas rare de sauter plusieurs nuits d’affilée. Il sera toujours temps de récupérer plus tard. La vie passe en premier. En Asie, par ailleurs, se pratique la micro-sieste. On s’assoit, se couche n’importe où, sans se préoccuper de la présence d’autrui, des regards ou des jugements, et on repart d’attaque, après quelques minutes.
Au fond, il semblerait que la manière de dormir, soumise aux évolutions et exigences des sociétés, en reflète aussi les valeurs. Et que, finalement, comme tout le reste, bien dormir est relatif.
Catherine Fuhg