Le 22 mai est la journée, fériée, choisie en Martinique, pour commémorer l’abolition de l’esclavage en 1848. C »st en fait un mois de mémoire qui traverse la France : chaque année, du 27 avril, date de promulgation du décret d’abolition en 1848 au 27 mai en Guadeloupe, jour férié là aussi, en passant par le 10 mai, date de la fameuse loi Taubira et de la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, et donc le 22 mai en Martinique, la France vit un mois de commémorations.
Ces journées de mémoire invitent à l’hommage, au recueillement, mais aussi à la vérité. Une vérité parfois dérangeante, mais nécessaire pour bâtir une conscience apaisée.
Oui à la mémoire, mais pour en faire quoi ? Plus jamais ça, comme l’ont clamé pendant des décennies les descendants et les héritiers de la Shoah ? Il ne viendrait à personne de rétablir l’esclavage ? Non, vis-à-vis de cette histoire de l’esclavage, le mot d’ordre devrait être clair : réconcilier, se souvenir pour comprendre, comprendre pour grandir ensemble.
Car l’histoire est complexe. L’esclavage atlantique fut une tragédie humaine, économique et morale. Il a broyé des millions de vies, arraché des peuples à leur terre, déshumanisé jusqu’au langage même.
Il serait cependant réducteur, et historiquement inexact, de désigner les seuls Européens comme instigateurs de ce système abominable. La traite négrière transatlantique, qui a duré plus de trois siècles, fut rendue possible aussi parce que des royaumes et chefferies africaines y ont participé activement.
De nombreux historiens, tels que Tidiane N’Diaye (Le génocide voilé) ou Elikia M’bokolo, ont documenté la réalité des razzias opérées par des Africains eux-mêmes, contre des populations voisines, souvent issues d’ethnies rivales. Des rois comme ceux du Dahomey (actuel Bénin) ou des commerçants de l’empire Ashanti (actuel Ghana) capturaient et vendaient des esclaves aux négriers européens, contre des armes, de l’alcool ou des tissus. Ces faits ne diminuent en rien l’horreur de la traite, mais ils rappellent qu’elle fut le fruit d’une chaîne de responsabilités multiples, dans un contexte historique étranger à notre vision contemporaine du monde.
Doit-on aussi rappeler que, dans les Caraïbes mêmes, les Kalinagos réduisaient en esclave les taïnos. Malheureusement l’esclavage fut universel à une époque où l’humanité était réservée à certains. Les sociétés africaines de l’époque, comme les sociétés européennes, étaient loin des principes universels des droits de l’homme.
Ramener ces faits à l’époque actuelle serait une erreur historique et morale, une trahison de l’histoire autant que du présent. Juger ces actes avec nos valeurs modernes est un anachronisme et un raccourci facile et dangereux.
D’ailleurs, ce passé inhumain est-il définitivement aboli ? il faut reconnaître que l’esclavage existe encore aujourd’hui, sous des formes diverses, mais pas en Occident : en Mauritanie, en Libye, dans certaines régions du Moyen-Orient ou d’Asie du Sud. Des hommes, des femmes, des enfants sont encore vendus, exploités, privés de liberté. Connaissant le poids douloureux de ces drames, ne devrions-nous pas nous en préoccuper car ils sévissent encore aujourd’hui ? Donc, finalement, le « plus jamais ça » est aussi un moteur du travail de mémoire, mais certainement pas en Occident où il a été éradiqué.
Réparer ?
Faut-il réparer comme le demandent notamment des Afro-descendants et tout un éco-système de militants de gauche, tendance woke ? Que signifie « réparer » ? Des réparations matérielles, morales ont été évoquées, et certains y voient un moyen de justice historique.
Nous n’y sommes pas du tout favorables !
Réparer serait reconnaître qu’il y a aujourd’hui en 2025 des victimes et des coupables de l’esclavage d’il y a presque deux siècles. L’abolition de l’esclavage a concerné les arrière-arrière-grands-parents des arrière-grands-parents de la génération actuelle. Ce qui veut dire que les premiers nés libres sont les arrière-grands-parents des arrière-grands parents de la génération actuelle. La précision généalogique est importante.
En fait, sur la mémoire de l’esclavage, des contre-vérités se sont installés dans le débat public, nourries par une racialisation des perceptions et des sentiments qui obscurcissent la raison et surtout le regard historique. Les contre-vérités sur les békés et l’esclavage sont nombreuses et doivent être dénoncées comme le monrtre l’article de la Rédaction d’Opinion Internationale.
Pire, réparer serait enfermer des Afro-descendants dans le statut terrible de victimes qui les empêcherait de regarder devant, de travailler, de construire.
Soyons clairs : chercher des coupables aujourd’hui, ce n’est pas faire un travail de mémoire, c’est régler des comptes avec ses propres turpitudes là où seuls le travail, l’effort, l’entraide, la concorde payent.
Pire, exiger des réparations, c’est l’assurance de réveiller une guerre raciale qui postulerait que des blancs, des Français, des Occidentaux, doivent réparer à des Afro-descendants les crimes du passé.
Or de même qu’aucun Allemand en 2025 n’est coupable des crimes commis par leurs aïeux nazis, aucun des Antillais d’aujourd’hui n’est victime ni de la colonisation ni de l’esclavage qui, dans cette région du monde, appartiennent à un passé lointain.
Mais en même temps, tous les Antillais d’aujourd’hui, de toutes couleurs, noirs, békés, mulâtres, et les autres, sont les héritiers de cette histoire. Et ils sont tous égaux devant l’histoire. Ces vérités expliquent autant notre opposition totale à toute réparation matérielle que notre résolution à soutenir tous les efforts de mémoire.
Car la véritable réparation est d’abord celle de la conscience. Elle passe par l’éducation, par la connaissance de notre histoire dans toute sa vérité, par la fierté retrouvée des descendants d’esclaves, non pas comme victimes éternelles, mais comme héritiers d’une résilience inouïe qu’il faut saluer, honorer et respecter.
Le combat aujourd’hui n’est plus de s’enchaîner à un passé figé, mais de se libérer du poids des simplifications, des récits manichéens, pour aller vers une réconciliation sincère et de retrouver une dignité par la lucidité et par le travail acharné pour bâtir ensemble la Martinique et les Antilles de demain.
Il ne s’agit pas d’oublier, ni d’excuser, mais de comprendre que l’histoire des Antilles est celle d’un brassage, d’une souffrance inouïe, mais aussi d’une richesse humaine et culturelle qui défie toutes les logiques imaginables et surtout celle de domination.
Le 22 mai en Martinique, le 27 mai en Guadeloupe, et tout le mois de mai, ne doivent pas être des jours de haine ou de repli, mais des jours de connaissance, de reconnaissance et de transmission. Des jours où l’on dit aux jeunes générations : « Tu viens de loin, ton histoire est complexe, douloureuse, singulière, mais tu es debout. Tu n’as pas à te sentir inférieur, victime, ni à demander des comptes ; tu as à comprendre, et à avancer. Et nous devons le faire main dans la main et construire ensemble un nouveau projet. »
Notre doctrine est claire et résolue : Non à une mémoire rétroviseur, oui à une mémoire vivante, partagée et bâtisseuse d’avenir, comme l’incarnent par exemple ces 44 nouveaux Français de Martinique.
La liberté ne se mendie pas. Elle se conquiert dans les cœurs, dans les esprits, par une certaine fierté à renaître de ce passé douloureux.
Telle est la vraie réparation, celle qui aboutit à cette fierté que personne ne peut enlever à quiconque, même les plus grands de ce monde.