Abolir la peine de mort
15H00 - mardi 9 octobre 2012

François Zimeray : “La lutte contre la peine de mort n’est pas un combat Nord-Sud”

 

 

M. François Zimeray est l’ambassadeur pour les droits de l’Homme de la République française. Nommé en 2008, il a été reconduit dans ses fonctions en 2012. Il est le pivot de la campagne pour l’abolition universelle de la peine de mort, lancée au mois de septembre par M. Laurent Fabius à l’ONU qui vise à relancer le mouvement abolitionniste mondial. A l’occasion du lever de rideau en France de cette campagne et à la veille de la dixième Journée mondiale contre la peine de mort, Laurent Fabius convie les acteurs et les défenseurs de l’abolition au Quai d’Orsay et François Zimeray nous parle de l’engagement français contre la peine de mort.

 

On a vu la France prendre le 27 septembre la tête d’une coalition pour l’abolition universelle de la peine de mort. Pourquoi la peine de mort?

Des grands combats politiques, la peine de mort est  le plus emblématique. Ce combat a longtemps été associé à de grands noms : Camus, Victor Hugo, Larmartine, Robert Badinter. Il est aujourd’hui, au sein du concert des nations, associé à des pays et la France est à l’avant garde des pays menant ce combat. La France ne se pose pas comme modèle . Elle peut servir de guide de part son expérience : bien qu’elle n’ait été abolie que très récemment en France, après un débat très profond, l’abolition de la peine de mort fait aujourd’hui partie intégrante de l’identité française, comme de l’image de la France à l’étranger, quand pour beaucoup de pays elle est encore une nouvelle frontière des droits de l’Homme.

 

Dans quelle mesure peut-on dire que la lutte contre la peine de mort est une priorité de la diplomatie française aujourd’hui?

Tout le réseau diplomatique français est aujourd’hui mobilisé. Nous menons le combat à l’ONU à New York et à Genève, pour voter des résolutions appelant au à l’abolition universelle de la peine de mort, et première étape, à l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort. Nous menons aussi le combat sur le terrain grâce à nos ambassades qui sont mobilisées pour organiser des évènements, des conférences, des débats, des projections et soutenir les activistes anti-peine de mort, qui se dressent, parfois au prix de leur sécurité, contre cette pratique dans leur pays. Nous irons à Pékin, nous irons à Shanghai, à Téhéran. Cela demande de l’audace et du courage politique car la peine de mort est une pratique qui s’enracine profondément dans les cultures bien que ce combat ne doive cependant pas se laisser appréhender au prisme du choc des civilisations : la peine de mort n’est pas un combat Nord-Sud.

Le 9 octobre, seront réunis au Quai d’Orsay, en plus des présidents et représentants de grandes ONG, des intellectuels et de nombreux étudiants, des praticiens du droits, avocats chargés de la défense des condamnés en Chine, au Japon, au Nigéria, en Mongolie ou encore en Iran. On peut y voir un passage de témoins entre la génération des Badinter et celle des avocats qui défendent aujourd’hui les condamnés à mort dans tous ces pays.

 

La Californie s’apprête à soumettre à référendum la substitution d’une peine de prison à vie à la peine de mort. Quelle est votre position sur cette substitution, n’est-elle pas finalement aussi inhumaine qu’une exécution, promettant les individus à un enfermement ad vitam aeternam?

Cette question dépasse à mon sens le cadre de la Californie dans la mesure où elle pose la question de la vocation de la prison. Nous avons en France un objectif pour notre politique carcérale qui est de rentrer en prison pour en sortir un jour. Partout dans le monde les conditions d’incarcération peuvent relever de traitements cruels, inhumains et dégradants. L’incarcération a montré ses limites dans notre propre pays. Il y a donc une réflexion globale à engager sur le modèle carcéral. On peut cependant difficilement se battre contre la peine de mort et contre l’emprisonnement à vie. La question se pose mais dire que la prison à vie n’est pas la solution, c’est aussi donner des arguments aux partisans de la peine de mort.

 

Concernant la peine de mort dans les pays arabes après les révolutions qui ont eu lieu en 2011. Voyez vous des avancées survenir avec le changement de régime ?

Il y a des progrès timides, y compris dans les pays dont nous attendons beaucoup comme la Tunisie. Ce pays comme le Maroc et l’Algérie, respecte un moratoire sur les exécutions depuis 1993 mais aucun d’entre eux n’envisagent d’abolition dans leur droit à court terme. Il y a donc pour nous un effort particulier à mener dans les pays du Printemps arabe.

 

Face aux différences culturelles et religieuses, souvent avancées pour légitimer l’usage de la peine de mort, quel est selon vous l’argument “le plus universel” pesant en faveur d’une abolition universelle de la peine de mort?

Les arguments les plus universels sont aussi les plus rationnels : l’absence de caractère dissuasif de la peine de mort. Le caractère impardonnable d’une erreur judiciaire qui aurait entraîné la condamnation à mort d’un accusé. Il y a aussi au-delà des arguments d’ordre éthique et spirituel, différents selon les cultures et les religions mais ce sont là des arguments à manier avec précaution.

 

Propos recueillis par Emma Ghariani