L’orgueil rend parfois aveugle !
Emmanuel Macron et le gouvernement ont donc commémoré les 40 ans de l’abolition de la peine de mort au Panthéon avec Robert Badinter. Et ils n’ont même pas parlé de la Journée mondiale contre la peine de mort qui a lieu ce 10 octobre partout dans le monde… Journée qui constitue pourtant une création française de votre serviteur en 2003, trois ans à peine après qu’il eut créé Ensemble contre la peine de mort, Journée reconnue dès sa première édition par l’ONU et l’Union européenne. Le président de la République aurait pu rappeler ce fait d’armes dans son discours au Panthéon.
Choisir le Panthéon pour une telle commémoration, où certes reposent d’illustres abolitionnistes comme Victor Hugo et Jean Jaurès, c’est franchement prendre la mémoire pour un plan d’action. Et ceci alors même que la peine capitale est encore remise sur la table par certains présidentiables et appliquée dans plus de cinquante pays dans le monde !
La place de Grève, c’est-à-dire l’Hôtel de Ville de Paris, ou la Concorde, où des milliers de têtes tombèrent dans notre histoire, eurent été plus pertinentes pour prendre la mesure de cette histoire. Ou l’Assemblée nationale parce que c’est toujours par le vote d’une loi que l’on enterre la peine capitale.
Versailles ou l’abolition dans la Constitution
Versailles eut été un autre lieu emblématique de la commémoration des 40 ans de l’abolition. Car la France est ce pays singulier qui a donné au monde une déclaration universelle des droits de l’homme au moment même où nous coupions la tête d’un roi ! Conquête bien sanglante de nos droits fondamentaux. Versailles permettrait de réfléchir à cette anomalie française et de chercher dans les tréfonds de l’âme française les raisons pour lesquelles la France est l’un des derniers pays d’Europe occidentale à avoir aboli la peine capitale. C’était donc il y a quarante ans.
Mais « l’abolition pure, simple et définitive » comme disait Victor Hugo, nous considérons qu’elle ne date pas d’il y a quarante ans : la peine de mort ne fut abolie qu’en temps de paix le 9 octobre 1981, jour de la promulgation de la loi votée largement par le Parlement quelques jours plus tôt. Pendant encore vingt-cinq ans, la possibilité de rétablir la peine de mort en temps de guerre fut maintenue dans notre droit et la France ne put ratifier deux conventions internationales, une rattachée à la Convention européenne des droits de l’homme (protocole 13), l’autre aux Nations unies (protocole 2 du Pacte des droits civils et politiques), qui interdisaient la peine de mort en toutes circonstances et empêchaient toute possibilité de la rétablir.
C’est votre serviteur et son conseiller droits de l’homme de l’époque, Laurent Vigier, qui avons convaincu le président Jacques Chirac en décembre 2006 de faire réviser la Constitution française pour inscrire l’abolition dans le marbre de la Constitution. Ce faisant, la France put ratifier ces conventions internationales abolitionnistes quelques mois plus tard.
Certes, Robert Badinter (et Emmanuel Macron) a rappelé ce fait historique au Panthéon. Mais nous nous souvenons de Robert Badinter nous disant fin 2006 avec un revers de bras un tantinet méprisant : « vous verrez, il ne le fera jamais ». Eh bien, en cinq minutes, la décision fut prise par le président Chirac, abolitionniste de toujours, qui, lui, acheva l’édifice abolitionniste de notre pays. Robert Badinter qui ne tenait pas Jacques Chirac dans son cœur avait oublié que les députés et sénateurs RPR furent nombreux, et bien plus que ceux de l’UDF, à voter l’abolition avec la gauche en 1981.
C’est donc le 19 février 2007 qu’à Versailles « l’abolition pure, simple et définitive » fut votée par le Congrès de la République et un nouveau titre ajouté à la Constitution de la Vème République :
« Art. 66-1. – Nul ne peut être condamné à la peine de mort. »
Pour la petite histoire, le Garde des Sceaux qui présida à cette révision constitutionnelle en 2007 fut le défunt Pascal Clément. Or ironie de l’histoire, c’est lui, jeune député UDF, qui en 1981 était monté au perchoir de l’Assemblée Nationale pour défendre le maintien de la peine de mort après le grand discours de Robert Badinter. Conversion abolitionniste qu’il partagea quelques jours plus tard devant les abolitionnistes du monde entier réunis à la Cité Internationale Universitaire de Paris pour le 3ème Congrès mondial contre la peine de mort organisé par votre serviteur fin février 2007. Que les équipes de Pascal Clément, autour de Stéphane Seigneurie, l’un de ses conseillers à l’époque, soient remerciés.
Hommage à de grands abolitionnistes français
L’abolition en France fut le combat (sur le tard tout de même) de Robert Badinter mais aussi d’autres contemporains qui méritent d’être cités en cette journée de commémoration : les ONG comme Amnesty Internationale, l’ACAT et la LDH (de l’époque), des avocats comme Philippe Lemaire, François Binet, des politiques comme Philippe Seguin, Bernard Stasi et Pierre Bas qui en 1978 tentèrent de supprimer dans la loi de finances le budget de la guillotine, l’immense dessinateur Tomi Ungerer [auteur de cette parlante Statue de la liberté] dont les dessins assassins illustrèrent toute sa vie son abhorration de la peine capitale, (les dessins de notre Régis Hector sur la peine de mort méritent le détour), François-Régis Hutin, grand patron de Ouest France et abolitionniste de toujours, Catherine Deneuve, égérie d’Ensemble contre la peine de mort jusqu’à notre départ en 2007, des enseignants comme Armelle Cazeaud qui réunit une Anthologie de la peine de mort contenant plus de 300 textes de la littérature française et internationale.
Petits secrets de la Journée mondiale contre la peine de mort
Terminons sur l’avenir : la peine de mort, si elle a beaucoup reculé dans les années 2000 dans le monde, est encore loin de l’abolition universelle. Contrairement à ce qu’ont plaidé au Panthéon Robert Badinter et Emmanuel Macron dans une forme de grandiloquence un peu aveugle, son horizon s’éloigne même ! Des Etats autoritaires de plus en plus puissants, le retour massif des conceptions radicales des religions freinent le mouvement abolitionniste, lequel s’est également perdu dans des circonvolutions juridiques et militantes qui lui font manquer la cible et lui ont fait perdre la vision des enjeux fondamentaux et singuliers de ce combat.
Qu’Emmanuel Macron confie la tenue d’une conférence internationale pour l’abolition en 2022, sous présidence française de l’Union Européenne, à Ensemble contre la peine de mort, ONG que votre serviteur a créée de toutes pièces en 2000 et quitté en 2007 face au comportement sectaire de ses « dirigeants parachutés », lesquels, d’année en année, ont fait perdre à cette ONG hier leader son rayonnement international et qui s’évertuent à effacer le nom de leurs précédents présidents, disons-le clairement : le chef de l’Etat se trompe d’opérateur.
L’avenir, c’est qu’en France le débat de la peine de mort risque de resurgir lors de la prochaine présidentielle. Organiser une conférence mondiale pour l’abolition juste avant l’élection présidentielle en France, c’est vraiment instrumentaliser le combat abolitionniste à des fins électorales. Notons avec satisfaction que depuis la reprise des attentats terroristes dans les années 2010 ni l’opinion publique ni les victimes n’ont demandé le rétablissement de la peine capitale. Françoise Rudetzki, fondatrice de SOS Attentat en 1986, a semé de bonnes graines, elle qui a toujours milité contre la peine de mort au nom des victimes, comme le font souvent les associations de victimes aux Eats-Unis.
L’avenir, c’est désormais la Journée mondiale contre la peine de mort lors de laquelle, depuis 2003 dans le monde entier, des citoyens demandent l’abolition de la peine capitale dans leur pays ou ailleurs. Et le chef de l’Etat comme Robert Badinter n’ont même pas cité la Journée mondiale de demain ? Triste oubli.
Pourquoi le 10 octobre ?
Pour la petite histoire, pourquoi cette Journée mondiale, initiée par votre serviteur en 2003 comme président d’Ensemble contre la peine de mort, a-t-elle lieu le 10 octobre ? Pourquoi pas le 30 novembre en mémoire du 30 novembre 1786 en Toscane, date de la première abolition de l’histoire ? Pourquoi pas le 21 août pour rappeler le 21 août 1851 et le premier Etat américain qui abolit la peine capitale ? Ou le 15 décembre, date de l’adoption par les Nations unies en 1989 du deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort ?
Eh bien, confidence à nos lecteurs : lorsque votre serviteur tint en 2003 le maillet de la direction de la Coalition mondiale contre la peine de mort, aujourd’hui abandonné par de piètres successeurs, il s’est dit en son for intérieur : on va prendre comme date le premier jour où la France vécut sans peine de mort. La loi française datait du 9 octobre 1981 ? Ce serait donc le 10 octobre. Et telle fut la proposition acceptée par la Coalition mondiale. On nous pardonnera ce petit orgueil français mais à l’époque les Français entraînaient largement le mouvement abolitionniste mondial.
Si Emmanuel Macron souhaite que la France s’engage à nouveau dans le combat abolitionniste, comme nous avons su le faire dans les années 2000, la Journée mondiale du 10 octobre devrait mobiliser la France plus que tout conférence ponctuelle… et électoraliste !
Pour l’heure, espérons que de nouveaux pays aboliront bientôt la peine capitale. Parions sur un prochain Etat qui pourrait faire le pas : le Maroc dont la victoire fulgurante des libéraux aux récentes élections législatives et municipales ravive les espoirs que nous avions nourris dans les années 2000. Il serait le premier pays arabo-musulman à en finir avec ces justices qui tuent !
De cette Journée capitale du 10 octobre qui heureusement résonnera dans le monde entier ce dimanche et qui incarne le meilleur du combat abolitionniste de demain, ni Emmanuel Macron ni Robert Badinter n’ont parlé. Mais, tout soupçon d’orgueil écarté, peut-être le Panthéon ne s’y prête-t-il pas…
Michel Taube
Fondateur d’Ensemble contre la peine de mort et d’Opinion Internationale