Abolir la peine de mort
08H52 - jeudi 15 novembre 2012

Entretien exclusif avec Laurent Fabius, Ministre français des affaires étrangères : « s’agissant du référendum à venir en Californie, la peine de prison à vie est une autre forme de peine de mort »

 

Monsieur le Ministre, pourquoi avoir choisi d’engager la France dans une campagne mondiale contre la peine de mort ?

Nous tenions à ce que la France s’engage dans une grande cause universelle. Notre pays a connu un long cheminement pour abolir la peine de mort en 1981 et nous savons que le combat est souvent difficile. Raison de plus pour soutenir les efforts menés partout dans le monde pour que cesse cette pratique indigne. En mobilisant les moyens de la diplomatie française, en lien avec nos homologues européens mais aussi avec des pays abolitionnistes du monde entier, nous voulons faire avancer la cause de l’abolition. Un tiers des Etats avaient aboli en droit ou en fait il y a dix ans, ils sont aujourd’hui deux tiers. Nous voulons accélérer à nouveau le processus vers l’abolition universelle. C’est une cause qui me tient à cœur et pour laquelle je m’engage personnellement.

 

Sommes-nous si proches des Américains lorsqu’on constate que les deux candidats à la présidence des Etats-Unis sont pour la peine de mort, notamment Barack Obama, et qu’un référendum le 6 novembre en Californie propose de la remplacer par une peine de prison à vie sans possibilité aucune d’en sortir ?

Les Etats-Unis sont une grande démocratie, mais plusieurs Etats fédérés ne partagent pas la même conception de la justice pénale que les Européens. Effectivement, on peut considérer que la prison à vie est une forme de condamnation inhumaine. L’argument principal développé par les abolitionnistes californiens est de dire que la peine de mort coûte trop cher au système judiciaire et que la peine de prison à vie dégagera des économies. Ce ne sont pas nos arguments mais nous pensons que ce référendum peut être une étape sur le chemin de l’abolition aux Etats-Unis où, rappelons-le, le nombre des exécutions est en net recul.

 

N’êtes vous pas déçu qu’aucun pays touché par le printemps arabe n’ait à ce jour aboli ou n’envisage d’abolir ?

Ces peuples ont fait la révolution au nom de la dignité humaine. Cela devrait les conduire, tôt ou tard, à envisager l’abolition de la peine de mort, qui est aussi un combat pour la dignité. Le Maroc accueille ces jours-ci une conférence régionale et s’engage à sa manière dans ce combat. Je rappelle aussi que des pays musulmans comme la Turquie ont déjà fait le saut de l’abolition.

 

Vous avez récemment participé au Sommet de la Francophonie. Le dernier pays membre de l’Organisation Internationale de la Francophonie à procéder à des exécutions est le Viêtnam. Le Viêtnam a-t-il sa place dans la Francophonie ?

La francophonie, ce n’est pas qu’une langue. Ce sont aussi des valeurs. Nous en avons parlé à Kinshasa. Et nous comptons bien nous adresser aux autorités vietnamiennes, dans le cadre de cette campagne mondiale, pour leur demander d’aller dans le même sens.

 

Au fond, face à de grandes puissances comme l’Arabie saoudite ou la Chine, « championnes du monde » de la peine de mort, croyez-vous à une diplomatie des droits de l’homme ?

Oui. Toute exécution est une exécution de trop. Mais force est de reconnaître que la peine de mort recule dans le monde. Nous devons convaincre de nouveaux pays d’abolir. C’est le sens du combat que compte mener la France pendant au moins ces deux années.

 

Propos recueillis par Michel Taube