Edito
00H40 - mercredi 3 décembre 2025

Discours d’ouverture du 2ème Forum économique des banlieues par Philippe Bourguignon, président d’honneur

 

Discours d'ouverture du 2e Forum économique des banlieues par Philippe Bourguignon, président d'honneur

Permettez-moi de commencer cette 2ème édition du Forum économique des banlieues par une citation de Milan Kundera :

« La stupidité vient du fait d’avoir une réponse à tout. »

Je préfère donc prévenir : je n’ai pas toutes les réponses ! Et certaines de mes idées pourront sembler naïves, provocantes ou dérangeantes — elles le sont, volontairement. Mon intention est de faire réfléchir. La provocation est parfois le meilleur moyen de bousculer les certitudes.

Je vais mêler ici des constats bien réels avec quelques histoires personnelles pour partager avec vous ce en quoi je crois profondément.

Il y a longtemps, à mes débuts chez Accor, je dirigeais le développement du groupe au Moyen-Orient et en Asie-Pacifique. Lorsque le projet d’implantation aux États-Unis a émergé, je me suis porté volontaire. Paul Dubrule m’a imposé une condition : redevenir stagiaire dans une entreprise de Dayton, Ohio, où lui-même avait travaillé. J’ai accepté.

Mais surtout j’ai découvert ce qu’était une belle entreprise. Elle était très prospère. Dans cette ville, tout ou presque, de la bibliothèque aux écoles en passant par les programmes sociaux, portait son empreinte. Son PDG connaissait tout de son entreprise, de ses salariés, et veillait personnellement à chaque décision qui concernait la communauté. Il n’en faisait pas simplement partie : il l’avait façonnée.

Depuis, comme beaucoup d’autres, la société a fusionné, puis été rachetée et intégrée à un grand groupe international.

De nombreuses années plus tard, je me retrouvais au 35e étage d’une tour à Atlanta, chez cette même société. Elle était devenue une immense structure comme tant d’autres aujourd’hui. Une entité puissante, certes, mais déconnectée… Une « boîte ». Car en effet aujourd’hui les entreprises sont devenues des « boites ». …et sont déconnectées ….

Et cette entreprise, autrefois acteur de son territoire, s’est éloignée de ses racines. Et la ville n’est plus la même.

A cette époque, on parlait de « communauté ». Aujourd’hui, on parle de « responsabilité sociale des entreprises » (RSE). Comment se crée cette déconnection ?

D’abord par ce que j’appelle la tyrannie des marques.

Les marketeurs ont imposé l’idée que la marque devait primer sur tout. Dans de nombreuses entreprises, ce n’est plus le client ni le salarié qui guide les décisions, mais l’image de marque.

Le marketing devrait être l’inverse. La marque doit être le reflet de ce que vous êtes, et non l’inverse. C’est ainsi que l’on crée une véritable connexion avec ses clients.

Mais parce que la masse critique doit être toujours plus grande, le produit devient de plus en plus impersonnel, et le client de moins en moins fidèle.

A ce stade, elle met en place des programmes de fidélité coûteux. Et pour financer ces programmes… elle devient « cost killer » et elle devient infidèle à ses fournisseurs et a ses propres salariés, alors même qu’elle attend de la fidélité de ses clients. C’est comme cela qu’elles deviennent des « boites ».

Après la marque, les conséquences de la mondialisation qui nous ramènent à la notion de communauté.

Avec la mondialisation, sont apparues les multinationales. Cela a eu un effet très positif en sortant des millions de personnes de la pauvreté en créant des millions d’emplois à travers le monde. Mais les entreprises globales, en devenant citoyennes du monde, se sont éloignées de leurs territoires d’ancrage et de leurs communautés locales.

Autrefois, nous l’avons vu avec mon exemple, les entreprises vivaient en symbiose avec leur environnement local, comme c’est encore le cas pour beaucoup de petites structures. Elles contribuaient activement à leur ville. Elles ne faisaient pas que participer à la communauté : elles la créaient.

Certaines cultivent encore un vrai lien local, mais dans la plupart des cas elles le remplacent par un programme RSE. C’est bien, mais cela ne remplace pas ce que j’appelle le sens de la communauté.

Les marques mondialisées, les RSE hors-sol, les entreprises coupées de leur base humaine , tout cela contribue à la déconnexion.

Ce qui me fait dire que l’on ne devient pas meilleur parce qu’on grandit mais on grandit parce qu’on est meilleur.

 

Cette crise de repères n’est pas seulement économique : elle est aussi politique.

 

Aujourd’hui, il est devenu difficile pour un responsable politique — comme pour un chef d’entreprise — de dominer ses sujets et ses décisions. Voilà une image pour illustrer mon propos :

Autrefois, un leader conduisait calmement sa voiture l’œil fixé sur l’horizon, surveillant ses rétroviseurs, avec des passagers silencieux.

 

Aujourd’hui, le tableau est bien différent. Il est au volant d’un bolide. Il regarde toujours l’horizon… mais dans le rétroviseur, ses opposants le talonnent. Sur le siège passager, les

électeurs — ou les clients — lui dictent leur destination. À l’arrière, son parti — ou ses actionnaires — lui indique quand passer les vitesses, s’ils ne tentent pas de le faire eux- mêmes. À côté, les journalistes observent et jugent… souvent impunément.

Et comme si cela ne suffisait pas, il n’y a plus de panneaux sur la route. Parfois, on ne sait même plus de quel côté il faut rouler.

 

Comme les entreprises, les responsables politiques se retrouvent en perte de repères.

Et là je repense à une scène précise, à Davos a l’époque où j’en étais le directeur général. J’introduisais une intervention de Bill Clinton, venu parler d’un thème central : la reconnexion en politique.

Il avait commencé par évoquer James Buchanan, prix Nobel d’économie, auteur en 1962 de la théorie du Public Choice. Selon lui, dans une démocratie, les dirigeants politiques

n’agissent pas en fonction de l’intérêt général, mais plus de leur intérêt personnel : flatter les électeurs, promettre tout et son contraire en matière économique avec une propension naturelle à augmenter la dépense publique — et creuser les déficits.

 

Mais Clinton a tout de suite nuancé : certains dirigeants parviennent a transcender la politique. Ils deviennent des leaders, puis des hommes d’État. Leur trait commun ? Leur capacité à écouter et à travailler avec ceux qui ne pensent pas comme eux, qu’ils soient politiques ou non.

 

Les vrais leaders sont à la fois radicaux et pragmatiques. Ils refusent de disqualifier l’autre sous prétexte de désaccord. Et c’est cette ouverture qui fait toute la différence.

 

Il nous a fait comprendre que beaucoup de grandes idées ne viennent pas d’une seule personne mais naissent d’une rencontre ou d’une intersection de fonctions, d’idées ou de

personnes qui ne se sont jamais rencontrées avant de collaborer.

 

Aucune vision politique et aucune transformation d’envergure ne naît dans un silo. Mais nos systèmes — éducatifs, politiques, économiques — fonctionnent en silos.

Lorsque ces différents milieux s’unissent, mettent des ressources en commun et cassent ces silos, ils créent ensemble les meilleures conditions possibles au développement d’idées et d’entreprises nouvelles…. Avec des résultats bien meilleurs que les initiatives de l’état.

Catalyser la création d’entreprises en reliant formateurs, chercheurs, entreprises, politiques et autres, c’est-à- dire en créant un environnement qui procure aux entrepreneurs les ressources dont ils ont besoin, c’est cela la connexion : créer des ponts entre ceux qui détiennent le savoir, ceux qui ont les idées, et ceux qui ont les moyens de les concrétiser.

Or, notre pays souffre d’un cloisonnement systémique : universités, entreprises, institutions,

responsables politiques et sociaux fonctionnent chacun de leur côté.

Ce cloisonnement freine l’investissement, bloque l’accès aux talents et empêche l’émergence des entreprises de demain.

 

Les entreprises ont été — parfois — une partie du problème. Elles doivent aussi faire partie de la solution. Les entreprises et les gouvernements doivent donc travailler ensemble – ou mieux, être partenaires.

Les gouvernements doivent lever les freins : simplifier la création d’entreprise, alléger les coûts et la bureaucratie.

Les entreprises, elles, doivent s’engager auprès de toutes leurs parties prenantes : territoires, collaborateurs, citoyens.

C’est ce que j’essaie de faire depuis plusieurs années.

Avec Steve Case, via le fonds Revolution dont j’ai été partenaire pendant 19 ans, et le programme Rise of the Rest nous avons investi dans les territoires oubliés des États-Unis, là où l’innovation existe, mais reste invisible.

Au même moment, j’ai rejoint le conseil d’administration de « Operation hope » fonde par John Bryant et suis devenu président du Hope Global Forum : nous avons accompagné des jeunes issus de quartiers fragiles pour les transformer en entrepreneurs.

 

Et c’est pour cette raison que j’ai décidé de m’impliquer dans le Forum Économique des banlieues et t pour cela que j’ai initie un partnership entre ce Forum et le Hope global Forum Car on trouve dans nos banlieues françaises exactement ce que j’ai vu aux États-Unis : une énergie brute, des idées puissantes, des dirigeants de TPE-PME résilients.

Nous avons longtemps cru que la croissance viendrait d’en haut : des grandes entreprises, des institutions, des métropoles.

La vérité est ailleurs. Elle est sous nos yeux, dans ces 1 609 quartiers, ces 6 millions de talents, ces milliers d’entrepreneurs qui innovent sans bruit, mais avec détermination.

 

Quelques chiffres pour illustrer cette dynamique :

Depuis 2020, selon l’Insee : 941 500 emplois ont été créés dont :

  • 525 200 dans les microentreprises
  • 330 500 dans les PME
  • 142 600 dans les ETI
  • Les grandes entreprises ayant un solde négatif de –56 800 emplois

 

La France n’a pas un problème de potentiel : elle a un problème de connexion.

Connexion entre les territoires et les opportunités, entre les idées et les financements, entre ceux qui rêvent et ceux qui peuvent rendre ces rêves possibles.

 

Ce qui manque ? Une vision, une stratégie, un écosystème. Un pont entre les talents et les financements, entre les idées et les marchés.

C’est précisément ce que nous faisons ici : casser les silos, créer des passerelles, réinjecter

du lien là où il manque.

Parce qu’un pays avance quand il décide de regarder là où il ne regardait plus.

 

Ce Forum est un point de bascule.

Non pas un événement de plus, mais un espace où l’on se reconnecte – à nos territoires, à nos responsabilités, et surtout à notre avenir commun.

 

Et j’espère que chacun ici, politique, chef d’entreprise, décideur, reparte avec une responsabilité claire: créer une opportunité nouvelle pour quelqu’un qui n’en a pas.

 

Si nous faisons cela, même 1 seule fois, à grande échelle, alors oui : nous aurons changé le pays.

Et j’espère aussi que ce Forum aura été un moment de bascule — comme ceux que j’ai moi-même vécus.

 

Philippe Bouguignon

Ancien dirigeant de grands groupes internationaux et du World Economic Forum

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