Edito
07H35 - mardi 25 novembre 2025

Professeur David Smadja : « le PLFSS 2026, une politique contre la santé des Français ? »

 

Professeur David Smadja : « le PLFSS 2026, une politique contre la santé des Français ? »

Il y a cinq ans à peine, la France applaudissait ses soignants chaque soir à 20 heures. Aujourd’hui, ces mêmes professionnels sont désavoués par des décisions budgétaires que l’on pourrait facilement définir comme… absurdes. Le Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pour 2026, tel qu’il se profile avant passage au Sénat, marque une nouvelle étape dans la dégradation du système de santé français — une dégradation technique, mais aux conséquences bien réelles. À l’heure où la lutte contre les déserts médicaux devrait être la priorité nationale, le PLFSS 2026 risque d’affaiblir les acteurs qui font encore tenir debout les territoires fragiles : la médecine de ville, les laboratoires, les professionnels de proximité…

Nous savons tous que l’endettement de l’État provient en grande partie de dépenses de santé et des retraites. Revenir à l’âge de départ à la retraite à 62 ans – contrairement à ce qu’ont fait nombre de nos voisins européens, y compris socialistes – conduit mécaniquement à faire des économies ailleurs. Et quoi de plus discret que de raboter les budgets de la santé ?

L’augmentation de l’ONDAM (Objectif national de dépenses d’assurance maladie) ne couvre même pas l’inflation. Comment, dans ces conditions, maintenir un niveau de soins digne ? Comment répondre aux progrès scientifiques – immunothérapies, innovations en oncologie ou en cardiologie interventionnelle – qui transforment des maladies autrefois fatales en pathologies chroniques ?

Les baisses de nomenclature, après avoir touché la radiologie, s’apprêtent à frapper la biologie médicale. Pourtant, depuis vingt ans, les laboratoires subissent des réformes règlementaires coûteuses comme le COFRAC, qui imposent une qualité maximale à prix minimal. Ces coupes empêcheront l’innovation, l’investissement dans du matériel moderne, et même la transition écologique – pourtant vitale – de notre secteur. Rendre la biologie médicale plus verte a un coût. Et la santé environnementale concerne tous les citoyens.

À l’heure où tout le monde parle de prévention, les actes ne suivent pas. Où sont les réformes ambitieuses sur la santé scolaire ou la santé au travail ? Pourquoi les biologistes médicaux, en première ligne et proches des patients, ne peuvent-ils toujours pas vacciner contre la grippe ou le Covid ? Ces décisions de bon sens restent ignorées. Plus grave encore, l’Assemblée nationale n’a même pas réussi à faire voter l’obligation vaccinale pour certains soignants ou résidents d’EHPAD – un échec permis par l’absentéisme massif et le jeu d’alliances entre extrême droite et extrême gauche…

Ce contexte délétère décourage toute une génération. De plus en plus d’étudiants en médecine ou pharmacie se détournent du soin. Peut-on vraiment s’en étonner ? On applaudit les soignants en temps de crise, mais on les sacrifie ensuite sur l’autel budgétaire car ils sont moins bruyants dans l’arène médiatique. La mise à mort du secteur 2 (et du secteur 3) annoncée par le PLFSS 2026, combinée à l’emprise grandissante des complémentaires santé — déjà renforcées par les réformes de Marisol Touraine — fragilisera durablement l’attractivité de la médecine libérale et installera une médecine à deux, voire dix vitesses, où les logiques assurantielles primeront sur l’intérêt du patient. Un collectif de 500 médecins des Alpes-Maritimes se mettra en grève le 3 décembre. Ces professionnels de santé cesseront leur activité pour faire entendre les revendications du secteur libéral.

Si rien ne change, nous laisserons derrière nous un champ de ruines. Il est urgent de repenser notre paradigme. La République de la santé ne peut survivre sans une refonte structurelle. Dans ce contexte, les récentes annonces du Premier ministre — visant à transférer certaines missions des agences régionales de santé (ARS) vers les départements et les préfets — suscitent de légitimes inquiétudes. Un collectif de 11 anciens ministres de la Santé a d’ailleurs alerté cette semaine sur le risque d’affaiblissement de la qualité de l’offre de soins. Oui, notre millefeuille administratif dans le domaine de la santé mérite d’être repensé. Mais faut-il pour autant s’en prendre frontalement aux ARS ? Une décentralisation mal maîtrisée risquerait de fragiliser davantage un système déjà sous tension. Les ARS sont souvent perçues comme technocratiques et éloignées des réalités de terrain, mais elles jouent un rôle fondamental : garantir un équilibre entre coordination régionale et égalité d’accès aux soins à l’échelle nationale. Elles doivent rester des leviers stratégiques, à la fois pour organiser, soutenir et harmoniser l’action sanitaire. Dans un contexte post-pandémique marqué par une montée de la désinformation, le secteur de la santé réclame une gouvernance fondée sur l’efficacité et l’expertise technique et scientifique, plutôt qu’une gestion purement administrative et politique.

La véritable question est peut-être ailleurs : comment garantir un pilotage territorial plus solidaire, plus équitable et plus lisible pour les acteurs de terrain comme pour les citoyens ? Plutôt que de détricoter les structures existantes ou d’empiler de nouvelles strates administratives, il faut surtout fluidifier les circuits de décision. À l’approche des élections municipales, n’est-il pas temps de redonner toute leur place aux maires dans la conduite des politiques de santé de proximité ? Qui mieux qu’eux connaît les réalités locales et les besoins de leurs administrés ? Centres de prévention, actions de santé publique, coordination locale des soins : les maires doivent redevenir des acteurs centraux de la santé publique territoriale. Il est temps de retisser du lien, de décloisonner les niveaux de décision et de redonner du pouvoir d’agir localement. Moins d’intermédiaires, plus de lisibilité, un pilotage plus direct : telle devrait être l’ambition d’une réforme véritablement utile à la population.

Comme le rappelle souvent Jean-Michel Blanquer nous devons revenir à une politique du bon sens. Il ne s’agit pas de renier l’État-providence. Il faut au contraire le réinventer pour qu’il continue à protéger les plus fragiles, sans tomber dans la facilité populiste qui a hystérisé le débat sur les retraites. Les Français pourront continuer à partir à la retraite à 62 ans : mais à quoi bon, s’ils ne peuvent plus se soigner ? Est-ce vraiment cela, le progrès social ?

Le combat pour la santé publique ne se mène pas à coup de slogans, mais avec de la pédagogie, de la lucidité, et une vision claire. Ce combat, nous devons le mener maintenant, pour ne pas laisser mourir un modèle qui fut l’un des plus admirés au monde.

 

David SMADJA

Professeur d’Hématologie à l’Hôpital européen Georges Pompidou et à l’Université Paris Cité

Responsable de la commission santé du think tank « Le laboratoire de la république ».

Le Kazakhstan renforce son ancrage européen

Le Kazakhstan renforce son ancrage européen
Entre le 1ᵉʳ et le 5 décembre, le ministre kazakh des Affaires étrangères, Yermek Kosherbayev, a effectué une tournée diplomatique majeure en Europe, avec des étapes à Bruxelles, Berne et Vienne, ainsi…