
À l’occasion de la Journée mondiale contre les violences faites aux femmes du 25 novembre, nous avons demandé à Loïc Morel, chroniqueur judiciaire, de revenir sur ces années où il a assisté à des procès pour violences sexuelles et autres. Témoignage saisissant qui en dit long sur le chemin qu’il reste à parcourir pour endiguer durablement les féminicides et autres servitudes volontaires imposées aux femmes.
Depuis vingt ans, le regard de la société sur les violences conjugales a changé. Le crime passionnel a disparu de notre vocable et des prétoires. Sous l’impulsion de Marlène Schiappa, lors du premier mandat d’Emmanuel Macron, un arsenal législatif est venu renforcer la prise en charge des femmes victimes de violences conjugales, comme la condamnation plus ferme de leurs conjoints violents. Les services de la Police nationale comme ceux de la Gendarmerie ont été formés plus spécifiquement pour entendre et écouter la parole des femmes battues. Les procédures judiciaires ont été accélérées. La justice condamne plus sévèrement les conjoints violents. Mais cette rapidité judiciaire comporte des lacunes et se fait parfois au détriment des victimes comme le dénoncent un grand nombre de professionnels de la justice.
Les violences conjugales sont le pain quotidien des tribunaux judiciaires. Elles touchent toutes les femmes sans exception, quels que soient leur statut, leur origine ou leur rang social. Il n’existe pas de profil type de conjoints violents. Ils sont jeunes et s’embrouillent pour un contact masculin sur un réseau social. Ils sont insérés socialement, bon père de famille aux yeux de tous, mais dans l’anonymat de leur foyer, ils se transforment en tyran domestique. Certains, mangés par leur addiction, déploient leur énergie malfaisante pour humilier, rabaisser. D’autres frappent au moindre prétexte. Ils contrôlent leur femme, comme la jauge de leur voiture. Elle est à eux. C’est leur chose, comme un produit domestique à leur service.
Ce climat insidieux ne s’installe pas en un jour. Il est lent, progressif. Il se heurte aux excuses factices de l’amour au sein d’un couple, comme si cela n’était pas bien grave, « Il n’a pas fait exprès. Il va changer », sont des phrases qui sortent souvent de la bouche des victimes lorsqu’elles témoignent à la barre des tribunaux correctionnels. C’est tout le paradoxe des victimes des violences conjugales. Elles se sentent souvent plus coupables que leurs conjoints violents. Elles défendent parfois coûte que coûte leur famille, l’avenir de leurs enfants, en raison de leur dépendance financière, ou des palpitations de leur cœur qui les ont conduites à supporter si longtemps l’inacceptable. Après 48 h de garde à vue et un procès en comparution immédiate, elles se retrouvent au bord du précipice, face à un choix de vie de radical, qu’elles ne peuvent pas toujours aussi vite appréhender. On ne sort pas d’un coup de baguette magique des violences conjugales, qu’elles soient d’ordre moral ou sexuel. Le processus est lent. Il faut du temps pour sortir de cette emprise où la raison bataille avec l’aveuglement des résidus d’amour.
En 2024, les services de sécurité ont enregistré 272 400 plaintes de victimes de violences commises par leur partenaire ou ex- partenaire. 64% de ces violences conjugales sont des violences physiques, 31% sont des violences verbales ou psychologiques et 5% sont des violences sexuelles. 84% des victimes sont des femmes et 73% ont entre 20 et 45 ans. 85% des mis en cause sont des hommes. En 2022, 9 personnes majeures sur 1000 déclaraient avoir été victimes de violences conjugales. Surtout et le chiffre reste stable aujourd’hui, seule une victime sur 6 porte plainte auprès des services de sécurité.
C’est indéniable, la justice, la police, la gendarmerie, comme les associations qui œuvrent chaque jour pour accompagner les victimes sont mieux organisées. La réponse pénale est plus rapide par le biais des comparutions sur reconnaissance préalable de culpabilité ou des comparutions immédiates devant les tribunaux correctionnels pour les faits les plus graves ou en récidive. La prise en charge des victimes est désormais beaucoup plus efficace comme s’accordent à le dire de nombreux professionnels de la justice. Mais ils regrettent, que ce recours systématique à des procédures judiciaires d’urgence ne prend pas suffisamment en compte la parole de la femme. Elle n’est pas recueillie correctement devant les tribunaux. En si peu temps, les femmes ont du mal à organiser leur pensée en dehors de leurs émotions, en s’appuyant sur les conseils d’un avocat pour faire état, devant une juridiction, d’années de souffrance et de violences habituelles. Les faits de violence sont rarement uniques. Ce sont comme des pluies quotidiennes qui font, au fur et mesure, sortir une rivière de son lit.
Pour les prévenus, la rapidité judiciaire comporte également des failles. Elle peut être assimilée aux peines planchées que l’on a connues il y a quelques années, avec les risques arbitraires que cela entraîne.
En conclusion, notre système judiciaire s’est adapté aux réalités quotidiennes des violences conjugales. Pour autant, le choix de la rapidité pénale comporte des faiblesses qui n’endiguent pas assez les comportements récidivistes.
Loïc Morel
Chroniqueur judiciaire


















