Suite à la parution des résultats du sondage réalisé par l’IFOP, nombreux ont été les commentaires expliquant les raisons pour lesquelles la France connaît un processus de réislamisation sur la base de pratiques religieuses rigoristes. Des désillusions que peut engendrer le mode de vie occidental gangréné par une philosophie consumériste à la fascination morbide pour un djihad armé sonnant l’heure de la revanche, les causes sont multiples. Sans oublier que 7% de la population française, soit environ cinq millions de personnes toutes générations confondues, revendique être de confession musulmane, ce qui entretient à l’évidence l’ampleur du phénomène.
Réduire le renouveau de cette pratique à une entreprise de contre-colonisation à bas bruit de la société française risque de passer à côté d’autres dimensions qu’il ne faut pas méconnaître. Ce renouveau de la religion montre en effet que concevoir l’histoire des peuples comme un mouvement de sécularisation irréversible témoigne d’un profond aveuglement sur les transformations souterraines des sociétés. C’est à tort que la vision progressiste de l’Histoire humaine interprète celle-ci comme un cheminement au terme duquel l’individu se débarrasserait naturellement de toutes croyances. Celles-ci ne sont pas seulement l’expression de superstitions que la lumière de la Raison rendrait obsolètes. Une telle conception trouve son fondement dans une interprétation militante de la pensée positiviste dont la laïcité s’est étrangement faite aujourd’hui le relais.
La réislamisation de la France pourrait a contrario illustrer un mouvement de désécularisation qui rejette l’ère du vide dans laquelle notre monde est entré. Cette avancée pour un Occident qui n’est pas historiquement une aire de civilisation islamique, sous réserve des enclaves héritières de la présence ottomane, est naturellement préoccupante. Mais s’agissant du renouveau de la pratique religieuse, on observera qu’il concerne également, à un moindre degré, le catholicisme, mais aussi le christianisme évangélique, notamment sur les continents africain et américain. Nul ne sait aujourd’hui si ces inflexions sont le symptôme d’un renouveau durable ou pas, tout en n’ignorant pas les différences intrinsèques qui séparent les grands monothéismes. Mais elles gagneraient à être interprétées comme une conséquence non anticipée du processus de rationalisation du monde qui a arasé la diversité des cultures enracinées.
L’Histoire humaine n’a pas en effet vocation à se placer dans sa globalité sous l’empire du rationalisme. Celui-ci peut devenir un principe totalitaire lorsqu’il sort du champ strict de la connaissance scientifique qui est son terrain de jeu naturel, sans pour autant réussir à changer l’individu. A titre d’illustration, soixante-quinze ans de communisme en Union soviétique n’ont pas empêché, lors de la chute du régime, la réouverture immédiate des églises dont l’homo sovieticus était censé avoir éradiqué jusqu’au souvenir.
Il est donc plus que jamais nécessaire de penser le fait religieux sans le considérer comme la survivance d’une arriération vouée à disparaître. Il exprime en effet un besoin de croire intrinsèquement lié à l’existence humaine, mais il traduit aussi l’aspiration à vivre sous l’ombrelle d’une communauté apportant une assistance de proximité bienvenue.
Si le fait religieux est peut-être un invariant de la condition humaine, il ne contredit pas pour autant la dimension émancipatrice de la connaissance rationnelle et scientifique. A condition de ne pas faire de cette émancipation une entreprise d’éradication.
Ce n’est pas en effet par le nivellement des croyances que la laïcité reconquerra le terrain perdu, mais plutôt par sa capacité à créer du lien autour des enseignements dont notre culture foisonne, par sa volonté d’embarquer les jeunes générations en mal de repères dans une authentique aventure de l’esprit. Cette aventure les détachera peu à peu des sévères obligations que leur imposent les orthopraxies renaissantes. C’est bien entendu par les élèves que cette reconquête doit commencer.
La laïcité gagnera à devenir une école du doute plutôt que celle des affirmations péremptoires.
Daniel Keller
Directeur dans un groupe de protection sociale, président des Anciens Elèves de l’ENA en entreprise, ex-président de l’association des Anciens Elèves de l’ENA, Ancien membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

















