
Le Sénat vient donc d’entamer les discussions sur le budget de la nation. Au cœur de ce rendez-vous annuel se pose la question de la dette publique.
Difficile d’y voir clair ! Certains y voient un un tonneau des Danaïdes qui nous conduit au précipice et d’autres un mode de gouvernance assumé de l’économie française. Ce qui se joue, c’est à la fois la situation de notre pays, extrêmement préoccupante, mais aussi l’interprétation qu’on en fait, et les remèdes qu’on imagine pour y répondre.
Il est urgent regarder la réalité en face, avec lucidité et responsabilité, mais aussi à prendre du recul.
Deux approches méritent d’être mises en exergue.
D’abord, la dette est un piège.
Un piège qui tient à la réalité du cadre financier, international et européen, que nous avons contribué à bâtir. Le système monétaire et financier, qui jusqu’ici a garanti la stabilité et contenu l’inflation, doit nous interroger, dans un monde en crise, où la compétition entre les Etats, y compris européens, s’exacerbe. Cette construction inachevée montre aujourd’hui ses limites. Clairement, la monnaie unique européenne exigerait une nouvelle approche de la complémentarité et de la solidarité entre nos économies.
On entend souvent que s’enfoncer dans la dette mettrait en péril notre souveraineté. Parce ce qu’elle est détenue par une majorité d’investisseurs étrangers, et parce que la charge de la dette, qui sera bientôt le premier budget de l’Etat, limitera sévèrement nos capacités d’action. C’est vrai !
Sauf que la question de notre souveraineté se pose déjà, et depuis longtemps, puisque nous n’avons pas d’autre choix que le recours institutionnalisé aux marchés de capitaux, qui imposent leurs taux et leurs durées d’emprunt, et que nous sommes réduits à être les otages tremblotants, chaque année, des agences de notation qui font la pluie et le beau temps.
En fait, nous avons déjà perdu notre souveraineté.
On peut juger que le système s’applique à tous, qu’il apporte une régulation juste et objective à laquelle chacun doit consentir. Mais on peut aussi considérer qu’il nous enferme petit à petit dans une logique d’appauvrissement de l’état, au profit des marchés financiers.
Selon nous, l’Europe ne doit pas rester au milieu du gué. Elle doit compléter sa politique économique et monétaire par de nouveaux mécanismes pour protéger ses États membres d’un piège qui mettrait en péril, à terme, sa propre existence. Mario Draghi et Enrico Letta poussent l’idée d’une mutualisation accrue des outils d’investissement stratégique et de financement, avec l’idée, en creux, d’un Trésor européen, capable d’émettre de la dette commune. Ces propositions devraient faire l’objet d’un débat, le plus rapidement possible. J’y suis favorable pour ma part.
Deuxième approche du sujet, la dette est un symptôme. Celui d’une économie malade.
Si nous sommes tombés dans le piège de la dette, et que nous sommes incapables de l’enrayer, c’est qu’elle comble, chaque année un peu plus, ce que l’économie ne produit plus. Donc il faut regarder la dette à la lumière de notre déficit commercial, avant d’incriminer la dépense publique, le modèle social ou de recourir aux recettes fiscales. Ça n’empêche pas de réduire le train de vie de l’État, ni d’ajuster la fiscalité aux besoins de nos politiques publiques ou à l’exigence de justice sociale qui est la nôtre. Mais ne pas voir que la dette, depuis des années, finance l’effondrement productif français, lié à la désindustrialisation et à la crise agricole notamment, alors qu’elle devrait financer de l’investissement public, ne pas voir cela, serait une erreur de diagnostic funeste.
Et je le dis clairement : on aura beau réduire les dépenses publiques ou augmenter les impôts, si le déficit commercial persiste, alors le recours à la dette continuera de s’imposer, irrémédiablement.
En somme, le seul remède à l’endettement qui nous mine, il est entre les mains du gouvernement : c’est la relance d’une véritable politique industrielle.
Une politique qui nous permettra de renouer non pas avec la croissance, ce qui n’est pas suffisant, mais avec le développement de la France, idée beaucoup plus généreuse et humaine, qui contient une dimension de progrès et de prospérité, capable de relever le double défi numérique et écologique.
Une telle ambition exige une politique d’investissement transversale, alliant une politique de l’énergie, une politique de formation, de recherche publique et privée, de commerce extérieur, une politique migratoire, aussi.
Tout cela en repensant notre autonomie stratégique, qui elle-même, doit s’appuyer sur nos Outre-mer, et sur notre politique de coopération et de partenariats internationaux.
Voilà le lien que la dette nous impose de bâtir entre toutes nos politiques, afin de garantir la cohérence de l’action publique au service d’une ambition simple : la réussite de la France dans un monde de ruptures.
Raphaël Daubet
Sénateur du Lot, membre de la commission des finances du Sénat, rapporteur sur le budget du groupe RDSE au Sénat, membre du Parti radical, auteur de « Vieux pays » aux éditions Toute latitude
« Vieux pays » : les racines littéraires du sénateur Raphaël Daubet aux éditions Toute Latitude

















