
Le procès de Serge Letchimy, Président de la Collectivité Territoriale de Martinique, de Didier Laguerre, Maire de Fort de France, de son 1er adjoint Yvon Pacquit, et de l’ancien Directeur Général des Services de la commune Max Bunod, a débuté devant la 32ème chambre correctionnelle du tribunal judiciaire de Paris, lundi 17 novembre.
Ils sont poursuivis pour détournement de fonds publics, pour recel et pour complicité pour deux d’entre eux. Au lendemain de la défaite de l’ancien Député de Martinique aux élections régionales de 2015, un montage administratif lui a permis de réintégrer les effectifs de la Fonction publique territoriale afin de bénéficier, quelques mois plus tard, d’une prime de départ à la retraite d’un montant avoisinant près de 100 000 euros.
Serge Letchimy est arrivé d’un pas trainant, les traits tirés, vêtu d’un costume bleu nuit, dans la salle d’audience où s’est tenue il y a quelques semaines le procès de Nicolas Sarkozy. Assis devant les six avocats qui défendent les 4 prévenus dans ce dossier, il a attendu patiemment sur son banc d’être auditionné par le tribunal en fin d’après-midi, tandis que Didier Daguerre manifestait quelques signes de nervosité à la lecture des faits qui leur étaient reprochés.
L’article LO 142 du code électoral est pourtant clair : « L’exercice des fonctions publiques non électives est incompatible avec un mandat de député. »
Mais pour la garde rapprochée de l’ancien député de Martinique, cela relève manifestement du détail. En 2015, Serge Letchimy est battu aux élections régionales. A l’époque il n’est pas interdit de cumuler une fonction exécutive et un mandat parlementaire.
Un peu abattu après sa défaite électorale, selon ses déclarations devant le tribunal, l’ancien maire de Fort de France décide de faire valoir son droit à la retraite. Mais la mairie de Fort de France, dont la gestion des deniers publics est parfois un peu déliquescente, s’aperçoit qu’elle n’a pas reversé les cotisations sociales à la caisse de retraite des fonctionnaires territoriaux dues lorsque Serge Letchimy dirigeait la Société d’Economie Mixte de la commune avant de devenir maire de Fort de France en 2001.
La dette sociale de l’ancien édile approche les 100 000 euros. Un tour de passe-passe administratif est donc mis sur pied. Serge Letchimy est réintégré dans les effectifs de la commune, au grade d’Ingénieur de classe exceptionnel, pendant 3 mois, avec un salaire à la clef versé au titre de congés payés. Dans la foulée, il accepte de souscrire au plan d’incitation de départ à la retraite prévue par la commune qui lui permet d’empocher près de 100 000 euros.
Un 1er mandat est signé par la commune. Il est refusé par le comptable public qui contrôle les dépenses budgétaires de la ville, sur le fondement de l’incompatibilité de son mandat de député avec l’exercice de ses fonctions territoriales.
Un deuxième mandat est émis. Il est encore refusé faute de pièces justificatives.
Après la mutation du comptable public vers d’autres fonctions au début de l’été 2017, son successeur par intérim signe le mandat.
Mais la Chambre Régionale des Comptes de la Martinique ne l’entend pas de cette oreille. Dans son rapport de 2017, elle étrille la gestion de la commune de Fort de France. Son compte administratif présente un déficit de près de 60 millions d’euros ce qui représente près de 60% de ses recettes de fonctionnement.
Elle pointe également le fameux plan d’incitation de départ à la retraite, voté en 2002 à titre provisoire pour deux ans et qui a été prolongé d’année en année. Son objectif était de réduire les effectifs la ville, ce qui ne fut absolument pas le cas. Dans la foulée, la Chambre Régionale des Comptes saisit le parquet national financier sur la situation de Serge Letchimy et de l’artifice administratif, qui a conduit à le poursuivre, comme le Maire de Fort de France Didier Daguerre, pour recel et détournement de fonds publics.
Une Question Prioritaire de Constitutionnalité a été soulevée par les défenseurs des prévenus en début de l’audience correctionnelle, lundi 17 novembre. Les avocats estimaient que l’article LO 142 du code électoral ne s’applique qu’aux fonctionnaires de l’Etat et ne concerne pas les fonctionnaires territoriaux.
Après un cours délibéré, le tribunal a rejeté leur argumentation estimant qu’elle était dépourvue de tout caractère sérieux.
Après le rappel des faits reprochés aux 4 prévenus, Serge Letchimy a été invité à s’exprimer à la barre du tribunal. Face à ses juges, et s’adressant directement au Procureur de la république, ce qui lui a valu une petite remontrance du Président du tribunal, l’ancien député de la troisième circonscription de la Martinique s’est défendu pied à pied, retrouvant ses réflexes de vieux lion de la politique.
« Je ne supporte pas que l’on me parle d’enrichissement dans cette affaire. Je me suis même appauvri », a-t-il déclaré en préambule, accompagnant son récit de gestes amples de la main. « Je conteste le terme d’enrichissement de fond », s’est-il emporté, racontant par la suite son parcours professionnel au sein de la commune de Fort de France comme sa carrière politique débutée en 1992 au sein du Conseil Départemental de Martinique dans les pas d’Aimé Césaire.
Selon ses déclarations, il n’a fait que suivre les recommandations de l’administration communale dans cette affaire, chargeant au passage, à demi-mot, l’ancien Directeur Général des Services Max Bunod.
La journée se termine déjà.
Les débats reprendront mercredi 19 novembre à 13h30.
Loïc Morel
Chroniqueur judiciaire
















