Edito
21H14 - dimanche 16 novembre 2025

Yonathan Arfi, président du CRIF : « L’antisémitisme ne menace pas que les juifs mais toute la société française ».

 

Yonathan Arfi, président du CRIF : « L’antisémitisme ne menace pas que les juifs mais toute la société française ».

Président du CRIF depuis 2022, Yonathan Arfi a présenté le 11 novembre, avec Ipsos/BVA, une grande enquête sur le regard des Français sur l’antisémitisme. Alors que les actes antisémites explosent depuis le 7 octobre 2023, il appelle à une « identité juive de combat citoyen » et met en garde : « ce qui menace les juifs menace la République tout entière. »

 

Opinion Internationale : Yonathan Arfi, merci d’avoir accepté de répondre à Opinion Internationale. Commençons par l’étude que vous avez dévoilée le 11 novembre avec Ipsos/BVA pour le CRIF, sur le regard des Français sur l’antisémitisme. Une question m’a frappé : seulement 49 % des Français pensent qu’une lutte ferme contre l’antisémitisme est actuellement menée par les pouvoirs publics. Ce jugement sévère est-il injuste selon vous pour l’État et les institutions ?

Yonathan Arfi : tout d’abord, ce sondage est réconfortant en ce qu’il révèle que la très grande majorité des Français est consciente de l’ampleur de l’antisémitisme et comprend que les Français juifs aient aujourd’hui des craintes dans la société française. Les juifs ne sont donc pas seuls face à l’antisémitisme.

J’ajoute avec force que si l’antisémitisme progresse en France, la France n’est pas pour autant un pays antisémite. Précisément parce que, et je réponds à votre question, l’État et la puissance publique, dans leur principe, sont engagés dans la lutte contre l’antisémitisme. La question ne porte pas sur l’intention, mais sur l’ampleur et l’efficacité des moyens déployés. Et j’ajoute que la société civile, les associations, les syndicats, chacun des citoyens a un rôle à jouer dans ce combat.

En revanche, dans la population française, deux blocs doivent nous inquiéter : les plus jeunes d’une part, et les sympathisants de La France insoumise d’autre part. Dans ces deux groupes, on ne voit pas l’antisémitisme de la même manière que le reste de la population. On le minimise, on le relativise, parfois on y adhère.

Pour l’extrême gauche, il y a un biais idéologique puissant : un logiciel politique qui rend aveugle à l’antisémitisme. Tout est lu au prisme du conflit israélo-palestinien, ce qui neutralise une partie des défenses contre l’antisémitisme.

Chez les plus jeunes, les réseaux sociaux jouent un rôle majeur : banalisation des discours antisémites, renvoi systématique des juifs et des musulmans dos à dos, refus de voir les spécificités de l’antisémitisme parmi toutes les formes de haine. La cause palestinienne est devenue pour une partie de cette génération un étendard identitaire, souvent sans nuance et de manière caricaturale. Tout cela réduit leur capacité à entendre ce qu’est réellement l’antisémitisme aujourd’hui.

Que diriez-vous, personnellement, à un jeune Français aujourd’hui antisémite, influencé par cette propagande, ce matraquage propagés sur les réseaux sociaux et dans les mouvances islamo-gauchistes ?

Je lui dirais d’abord que l’antisémitisme, ce n’est pas seulement détester les juifs. C’est aussi s’attaquer à des principes fondamentaux qui structurent notre République et notre société : l’égalité, la dignité de chacun, l’universalisme.

L’antisémitisme désigne en apparence un groupe – les juifs – mais à travers eux, il exerce une violence sur toute notre société, laquelle est une menace pour tous les Français.

 

C’est pourquoi l’antisémitisme est souvent une forme de haine de soi ?

Absolument, il sape les fondements mêmes de notre vivre-ensemble.

 

Il y a deux ans, le 12 novembre 2023, des centaines de milliers de personnes ont marché « pour la République et contre l’antisémitisme ». Vous organisiez le 12 novembre dernier une grande réunion, comme une piqure de rappel à l’unité nationale, en présence de Gérard Larcher et de Yal Braun-Pivet.

Une fois de plus, comme il y a deux ans, le président de la République brillait par son absence. Estimez-vous qu’Emmanuel Macron a rompu cette ligne de crête, cette position d’équilibre entre les communautés, notamment en ne marchant pas le 12 novembre 2023 parmi les Français, indignés par le 7 octobre et en reconnaissant l’État de Palestine avant la libération des otages et l’éradication du Hamas ?

À l’époque, je l’avais dit publiquement : j’ai regretté l’absence du président de la République à la marche du 12 novembre 2023. Ce fut une occasion manquée d’envoyer un message d’unité au pays et d’incarner, au plus haut niveau de l’Etat, l’universalisme républicain dont la dénonciation de l’antisémitisme doit être un pilier rassembleur, comme le rappelle notre sondage.

Sur la politique étrangère, j’ai également regretté qu’il y ait eu, à mes yeux, une forme d’adhésion de la diplomatie française à un récit, un narratif arabo-palestinien qui, sur le temps long, ne correspond pas aux intérêts de la France.

L’intérêt de la France aurait été de tenir plus clairement cette position équilibrée que vous évoquiez, et qui assume sa solidarité avec le camp des démocraties. Dans cette guerre, la démocratie, c’est l’État d’Israël. On peut vouloir se distinguer des États-Unis, mais cela ne doit pas nous éloigner du camp démocratique.

 

Pour lutter contre l’antisémitisme, la doctrine ne devrait-elle pas être : « ne rien laisser passer » ? Par exemple, que pensez-vous de la participation de la comédienne Lina Khoudri à la cérémonie du 13 novembre, alors qu’elle avait relativisé la gravité du 7 octobre ?

Sur le principe, évidemment qu’il ne faut rien laisser passer. L’antisémitisme se faufile toujours dans nos faiblesses, dans nos renoncements, dans nos accommodements. Il faut donc une vigilance extrême.

Sur le cas particulier de Lyna Khoudri, je ne souhaite pas m’acharner sur une personne, même si ses prises de position après le 7 octobre posent question. Ce que je veux dire plus largement, c’est que le monde de l’art et de la culture, globalement, a fait défaut depuis le 7 octobre.

Beaucoup de personnalités du monde culturel, par idéologie ou par lâcheté, ont épousé des narratifs visant à nier le droit d’Israël à exister et au mépris des atrocités commises par le Hamas. Le monde de la culture aurait dû être une conscience, un aiguillon moral, dans un moment de sidération. Il ne l’a pas été. Et cela, pour moi, est très grave.

 

Que répondez-vous aux juifs de France qui, aujourd’hui, vous disent qu’ils veulent quitter la France ?

Ce sont des choix profondément individuels. Je ne me permettrai jamais de juger des décisions de familles ou de personnes qui décident de partir, que ce soit pour Israël ou ailleurs.

Mais j’ai une responsabilité : faire en sorte que personne ne quitte la France à cause de l’antisémitisme. Qu’on parte pour des raisons positives – un projet de vie, un attachement à Israël, des opportunités – c’est une chose. Que l’on parte parce qu’on estime que la France n’est plus vivable pour un juif, c’en est une autre. Et cela doit interpeller tout le monde, pas seulement les institutions juives.

À chaque fois qu’un Français, quel qu’il soit, part parce qu’il pense que son avenir ne peut plus être en France, c’est une défaite collective. Pour les juifs, ce phénomène n’a pas commencé le 7 octobre ; il est lié à un cycle de plus de vingt ans, depuis la seconde Intifada, avec le retour d’un antisémitisme violent sur notre sol.

C’est pourquoi aussi je parle sans cesse d’une « identité juive de combat citoyen ». Cela veut dire que, malheureusement, nous sommes privés de la sérénité à laquelle nous devrions avoir droit comme tout citoyen. Face à cette peur, certains juifs choisissent le départ, d’autres choisissent le renoncement, d’autres la « maranisation », c’est-à-dire le fait de cacher son identité, de s’effacer.

Moi, je plaide pour une identité juive combative et citoyenne, lucide sur le moment historique, fière de ce qu’elle est et de ce qu’elle apporte à la France. Et qui porte un message à l’ensemble de nos concitoyens : ce qui nous menace, nous, juifs, nous menace tous. L’antisémitisme ne s’arrête jamais aux juifs.

 

Vous êtes président du CRIF depuis 2022. Vous avez renouvelé son image, ouvert davantage l’institution « hors les murs » de la seule communauté juive. C’est quoi « les années Arfi » à la tête du CRIF ?

Je ne crois pas qu’il y ait une rupture de nature avec mes prédécesseurs. Chacun a incarné le CRIF à sa manière, dans des contextes très différents.

Mais il est certain que ma présidence a été percutée par le 7 octobre. C’est un marqueur, comme l’ont été d’autres drames pour ceux qui m’ont précédé. Depuis ce jour-là, j’essaie, par tous les moyens, de faire comprendre à la société française que ce qui concerne les juifs la concerne dans son ensemble.

On me demande souvent quel est le rôle du CRIF. Je le résume ainsi : l’antisémitisme commence avec les juifs, il ne s’arrête jamais avec les juifs. Mon ambition, c’est de le dire et de l’expliquer de mille façons, à tous les Français.

Nous aspirons, au fond, à une normalité qui nous échappe aujourd’hui. Mais cette normalité doit rester notre horizon.

 

Vous organisez le 23 novembre la Convention nationale du CRIF, avec pour titre : « La République a-t-elle dit son dernier mot ? ». Alors, la République a-t-elle dit son dernier mot ?

Evidemment non, la République n’a pas dit son dernier mot. Mais j’entends les doutes, les peurs, les angoisses. Je vois l’effritement de l’attachement à la laïcité, le recul de l’universalisme républicain, la montée d’une société de plus en plus communautarisée. Tout cela m’inquiète.

Mais je fais le pari que tout n’est pas perdu. Dans d’autres moments difficiles de notre histoire, il y a eu des redressements. Le chemin du salut pour les juifs de France est le même que celui du redressement de la République. Ce n’est pas une histoire séparée.

Notre Convention nationale vise justement à explorer les voies et moyens de lutter contre l’antisémitisme et pour la République. C’était déjà le message de la marche du 12 novembre 2023 : « Pour la République et contre l’antisémitisme ». Les deux combats n’en font qu’un.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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