Edito
07H12 - samedi 15 novembre 2025

Les Départements de France se rebelleraient-ils ? L’édito de Michel Taube

 

Les Départements de France se rebelleraient-ils ! L’édito de Michel Taube

Il y a des colères qu’on aurait tort de prendre à la légère. Celle qui s’est exprimée au 94ᵉ Congrès des Départements de France, cette semaine à Albi dans le Tarn, n’est pas une simple grogne d’élus locaux soucieux de leurs budgets. C’est une alerte rouge, un cri d’alarme venu du cœur même de la République des territoires. Les Départements, créés en 1790, piliers du modèle social français, sont aujourd’hui au bord de la rupture financière, politique et institutionnelle. Et cette fois, ce n’est pas un effet de manche : c’est une rébellion légitime contre un État central devenu prédateur.

Car la vérité est là, implacable : l’État impose, les Départements payent.

Mais désormais ils trinquent ! 54 d’entre eux sont en cessation de paiement, comme nous le révélait Bruno Faure, président du Conseil départemental du Cantal. Lors de son intervention très attendue à Albi, le premier ministre Sébastien Lecornu a proposé vendredi de doubler le fonds de sauvegarde des départements à hauteur de 600 millions d’euros, principale revendication de ces collectivités en grande difficulté financière.

Mais ce qui se joue dépasse la comptabilité. Les Départements, c’est la France du réel, celle qui soigne, qui forme, qui relie. Quand l’État central s’enferme dans ses tours de verre, les Départements, eux, gèrent l’humain : les collèges, les pompiers, les routes, les personnes âgées, les enfants maltraités. Mais cette solidarité est aujourd’hui en péril. L’Aide sociale à l’enfance — plus de 400 000 enfants suivis — frôle l’asphyxie. Les agents sont épuisés, les structures saturées, les budgets exsangues. Faudra-t-il un drame pour que Paris entende enfin l’évidence : sans soutien financier, c’est la République protectrice qui s’effondre ?

Ce sont les départements qui assurent les missions sociales essentielles — RSA, aide à l’enfance, autonomie, handicap — sans recevoir les moyens nécessaires pour les financer. En trois ans, les dépenses sociales ont explosé de plus de six milliards d’euros, pendant que les recettes s’effondraient de 8,5 milliards. La taxe foncière a disparu, la TVA est instable, les droits de mutation s’écroulent. Le résultat : des Départements étranglés, contraints de choisir entre protéger les enfants ou réparer les routes.

Le Premier ministre a aussi réservé à l’Association des Départements de France la primeur de l’annonce du dépôt d’un projet de loi en décembre en faveur d’une « allocation sociale unique » qui devrait changer la donne dans l’économie générale de déversement des aides multiples par l’Etat, la Sécurité sociale et ses opérateurs territoriaux comme les départements.

Au-delà du désastre budgétaire, c’est l’esprit de la décentralisation qui vacille. Depuis les lois Defferre de 1982, on croyait avoir mis fin à la tutelle de l’État sur les collectivités. Quarante ans plus tard, la centralisation a repris le dessus, sous couvert de « contractualisation » et d’« indicateurs de performance ». La libre administration n’est plus qu’une fiction. Les Départements n’ont plus d’autonomie fiscale, plus de levier sur leurs recettes, plus de pouvoir sur leurs choix. Paris décide, les territoires exécutent.

Emmanuel Macron a aggravé la situation en procédant à une nationalisation de la décentralisation. Un grand retour en arrière de la part d’un Jupiter jacobin.

Le message entendu à Albi cette semaine est sans ambiguïté : les Départements refusent de devenir les sous-traitants administratifs d’un État qui les méprise. Ils exigent un nouveau pacte, un « acte IV » de la décentralisation, fondé sur la confiance, la clarté des compétences et la garantie constitutionnelle de l’autonomie financière.

Les présidents François Sauvadet et Christophe Ramond, hôte des Assises, ont eu le courage de poser les mots justes : il ne s’agit plus d’aménager à la marge, mais de sauver le modèle social français. Les Départements veulent, au-delà du fonds d’urgence évoqué, une compensation des allocations imposées, la fin des écrêtements arbitraires, et surtout un vrai pouvoir fiscal. Ils demandent à redevenir des décideurs, pas des gestionnaires d’aides décidées ailleurs.

Les Français, eux, ne s’y trompent pas : 7 sur 10 savent à quoi sert leur Département, et ils lui font plus confiance qu’à l’État. Dans une France fracturée, les Départements sont un maillage essentiel de la cohésion nationale. Les casser, c’est fissurer la République par le bas.

Le cri des Départements résonne comme un avertissement : si Paris persiste à ignorer ceux qui font tenir le pays, la France risque de perdre bien plus que des budgets. Elle risque de subir une colère sociale dévastatrice et de perdre son équilibre et le sens même de sa devise républicaine : liberté, égalité… et fraternité territoriale.

 

Michel Taube

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Directeur de la publication

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