
Opinion Internationale : Monsieur Bruno Faure, bonjour. Vous êtes président du département du Cantal et président de la commission ruralité de l’Association des départements de France. Vous êtes aux. Quelle est l’ambiance des Assises des départements de France qui se tiennent dans la belle ville d’Albi dans le Tarn et qui arrivent à un moment si particulier de notre vie politique nationale ?
Bruno Faure : Ce sont des Assises qui se déroulent dans une ambiance mêlant inquiétude et colère. Les départements sont dans des situations difficiles, et cela fait plusieurs années que nous le dénonçons. Il y a deux ans, 14 départements étaient en difficulté. Au 31 décembre de cette année, nous serons 54, soit plus de la moitié des départements de France.
Que voulez-vous dire concrètement par département en difficulté ?
Cela signifie un département avec une épargne brute inférieure à 7 %, donc qui n’a plus la capacité de rembourser sa dette. Ce qui le met en difficulté pour investir. Et cela vient d’un effet ciseau insupportable. Ces dernières années, les dépenses imposées par l’État ont augmenté d’environ 6 milliards d’euros pour l’ensemble des départements, alors que nous avons constaté plus d’un milliard d’euros de baisse de recettes, voire près de 8 milliards si l’on inclut les DMTO. L’écart est de 14 milliards. Il est donc impossible de tenir des comptes à l’équilibre et de mener des projets de développement.
Vous accusez l’État de vous mettre en cessation de paiement ?
C’est exactement cela. L’État ne cesse de transférer des charges, parfois même d’en inventer, sans les compenser. Ce n’est pas acceptable. S’il veut mettre des mesures en place via les départements, il doit en assurer aussi les recettes.
Je rappelle que les départements sont la collectivité de la solidarité sociale et territoriale. Le RSA, l’APA, la PCH : ces prestations sont versées par les départements, mais leurs règles et leurs montants sont décidés par l’État.
Ne fut-il pas donner une autonomie fiscale aux départements, comme à tous les pouvoirs locaux ?
En effet, non seulement nous sommes élus par nos concitoyens mais l’impôt légitime l’élu. Mais l’Etat nous a supprimé tous les leviers fiscaux : le foncier bâti, la taxe d’habitation, tout a été transféré aux communes et intercommunalités. Nous dépendons désormais du bon vouloir de l’État dans chaque loi de finances. Nous sommes pieds et mains liés, et cela nous coupe du lien de responsabilité avec nos concitoyens. Pour la démocratie locale, l’autonomie fiscale est indispensable, et elle permettrait de défendre nos projets directement auprès des habitants.
En tant que président de la commission ruralité, quel est l’enjeu des Assises pour les départements ruraux ?
Ce matin, j’ai rencontré Michel Fournier et Françoise Gatel, ministres chargés de la ruralité, de l’aménagement du territoire et de la Décentralisation. Je leur ai dit nos besoins : enseignement supérieur, santé, mobilité. Dans les territoires à faible densité, les problématiques sont spécifiques.
L’État doit renouer avec une vraie politique d’aménagement du territoire. Ce n’est pas avec quelques mesurettes que cela se fera. On a supprimé le FISAC, qui soutenait commerces et artisanat, pour ensuite remettre quelques centaines de milliers d’euros dans un plan ruralité. Cela ne soutient pas réellement les commerces. En plus, la clause de compétence générale nous a été retirée : nous ne pouvons plus aider l’ouverture d’un commerce, d’une épicerie, ou l’achat d’un camion pour faire des tournées. L’État prend la compétence et arrive en sauveur, mais cela ne marche pas. Les décisions doivent se prendre localement.
J’ai l’impression que le gouvernement Lecornu, comme tous les gouvernements des deux quinquennats Macron, a inventé une forme d’étatisation de la décentralisation. Vous êtes d’accord ?
Tout à fait. L’État n’a jamais voulu décentraliser totalement. Prenez les collèges. L’État nous a transféré la logistique immobilière, l’entretien, la restauration, mais les gestionnaires responsables du fonctionnement restent des agents de l’Éducation nationale. On nous donne une compétence sans nous la transférer vraiment.
Même chose pour la protection de l’enfance : c’est totalement géré et financé par les départements, mais un ministre vient nous dire ce qu’il faut faire.
Idem pour les routes nationales transférées aux départements, non pas parce que c’était stratégique, mais parce que l’État n’avait plus la capacité de les entretenir. Le transfert financier n’a jamais été complet. La décentralisation est souhaitée par les territoires, mais elle est subie par l’État. Comme ce n’est pas co-construit, cela génère des biais et l’État se repose dessus.
Craignez-vous que cet affaiblissement financier des départements soit utilisé comme prétexte pour supprimer les départements au nom de la simplification du millefeuille administratif ?
Au contraire. Ce que nous faisons, même dans la difficulté, prouve notre utilité. Nous assumons la solidarité sociale et territoriale. Le message que nous voulons adresser au Premier ministre et au gouvernement est simple : cela fait plusieurs années que nous tirons la sonnette d’alarme. On nous demande de compenser les erreurs de gestion de l’État, et nous l’avons fait. Mais aujourd’hui, nous ne le pouvons plus. Si je prends l’image du seau percé, l’État ferait mieux de boucher les trous de son propre seau.
L’accueil du Premier ministre demain s’annonce musclé.
Il sera ferme, oui. Mais responsable. Le Premier ministre a été président de département, il connaît nos réalités. Les départements assument leurs compétences, contrairement peut-être à l’État. Tout le monde reconnaît que le département est la collectivité la plus fragilisée financièrement. Nous espérons que le Premier ministre en tiendra compte dans le traitement financier qui nous sera réservé.
Que Sébastien Lecornu soit assuré que les départements sont opérationnels pour assurer leurs missions. Nous souhaitons simplement qu’il entende notre appel et qu’il nous évite une cassure et une crise territoriale.
Propos recueillis par Michel Taube




















