
Alors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) 2026 prétend renforcer la santé publique, deux amendements – les n° 2092 et 2093 – s’en prennent auxmédecins pratiquant des actes à visée esthétique.
Sous couvert de morale et de protection du patient, ces modifications du texte initial reposent sur des chiffres erronés et des idées fausses.
Les médecins réalisant des gestes à visée esthétique deviennent ici les bouc–émissaires commodes d’un populisme sanitaire qui préfère la posture à la précision.
9 000 médecins esthétiques ? Une fiction statistique
Le député Philippe Juvin (LR) évoque le chiffre de 9 000 médecins pratiquant la médecine à visée esthétique en France.
Ce nombre est largement surévalué.
En réalité, on compte :
- Environ 1 000 chirurgiens plasticiens qualifiés en chirurgie reconstructrice et esthétique, qui font très peu de médecine esthétique parce qu’ils font de la chirurgie ;
- Près de 3 700 dermatologues, dont seule une partie pratique des actes esthétiques ;
- Et environ 1 500 médecins généralistes formés à la médecine à visée esthétique, la plupart exerçant à temps partiel, en parallèle de leur activité de soins classiques.
Même en additionnant toutes ces catégories, on obtient entre 4 000 et 5 000 praticiens exerçant réellement des actes à visée esthétique en France — deux fois moins que l’estimation brandie par M. Juvin.
Ce chiffre de 9 000, sans source ni fondement, alimente un discours d’exagération qui vise davantage à choquer qu’à informer.
Une demande massive, une offre mesurée
Face à ces quelques milliers de praticiens, la demande est, elle, massive : selon des estimations issues d’auditions parlementaires et d’enquêtes sectorielles, près de 15 millions de Français auraient déjà eu recours à un acte de médecine à visée esthétique ou souhaiteraient y recourir.
Ce chiffre traduit une réalité sociale et médicale profonde : la médecine à visée esthétique n’est plus un luxe, mais une pratique de bien-être qui restaure l’image de soi.
Accuser les médecins d’être « trop nombreux » relève donc de la caricature : 1 médecin pratiquant ces gestes à visée esthétique pour 3 000 patients potentiels, ce n’est pas une inflation, c’est une pénurie !
Des amendements absurdes et contre-productifs
L’amendement n° 2092 prévoit de soumettre la médecine esthétique à une autorisation préalable des ARS (Agences Régionales de Santé), sous prétexte de complications “coûteuses” pour l’Assurance maladie.
Or, aucune donnée n’appuie cette allégation : les assureurs en responsabilité civile (MACSF, Sou Médical) confirment que la sinistralité des médecins formés est quasi nulle.
Les rares complications graves recensées par l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé) proviennent du marché noir : produits interdits ou falsifiés, injecteurs illégaux opérant dans des salons non médicaux.
Quant à l’amendement n° 2093, il propose de supprimer le remboursement de toute consultation effectuée par un médecin pratiquant des actes à visée esthétique, quelle qu’en soit la raison.
Ainsi, un médecin pratiquant aussi le Botox ne pourrait plus soigner une angine !
Une absurdité juridique et une atteinte directe au principe d’égalité d’accès aux soins.
La médecine esthétique n’est pas une hérésie
Derrière ces propositions se cache une idée fausse : les médecins proposant des actes à visée esthétique ne seraient “pas de vrais médecins”.
Pourtant, les injections de toxine botulinique, d’acide hyaluronique ou les actes techniques de lasers médicaux sont des actes médicaux à part entière, encadrés par le Code de la santé publique et réservés aux médecins, compte tenu de leurs risques potentiels et de la nécessité d’une connaissance parfaite de l’anatomie qu’ils sous-tendent.
Le vrai combat : le marché noir et la sécurité des patients
Le danger ne vient pas des cabinets médicaux, mais des pratiques illégales.
C’est là que naissent les infections, les nécroses, les cas de botulisme (maladie neurologique grave) — et donc le coût réel pour l’Assurance maladie.
La solution, elle, est simple :
- Renforcer les contrôles de la DGCCRF et de l’ANSM sur la vente en ligne et l’importation illégale ;
- Rendre obligatoire une formation certifiante pour les praticiens autorisés et la sortir d’une VAE (validation des acquis de l’expérience) pour les médecins qui ont déjà prouvé leur qualification dans ce domaine (diplômes inter-universitaires et pratique régulière) ;
- Et informer les patients pour les aider à reconnaître les vrais professionnels.
Pour une régulation intelligente, pas punitive
Les médecins pratiquant des actes à visée esthétique n’ont pas tourné le dos à la médecine : ils en explorent une nouvelle dimension, celle de la prévention des risques liés au vieillissement(externe et interne) et de la réparation de pathologies acquises.
Les sanctionner, c’est envoyer un signal désastreux à toute la profession médicale : celui que le travail bien fait et déclaré est plus risqué que la fraude.
La médecine esthétique ne doit pas être le bouc émissaire d’un populisme sanitaire.
Elle mérite une régulation fondée sur les faits, la science et la proportion, pas sur les fantasmes et les slogans.
Dr Dominique Bellecour
Président de l’Union de la Médecine Esthétique du Syndicat des Médecins Libéraux (UME-SML)

















