
La polémique suscitée par l’implantation d’une croix à l’entrée du village de Quasquara en Corse du Sud devrait trouver une issue apaisée assez rapidement. Le tribunal administratif n’a fait en l’occurrence qu’appliquer l’article 28 de la loi de 1905 aux termes duquel il est interdit d’élever aucun signe ou emblème religieux en quelque emplacement public que ce soit. S’il fait démonstration que cette croix avait pour objet de remplacer une croix préexistante, il en serait différemment. A défaut, il suffira à la mairie de privatiser l’emplacement afin que l’interdiction soit levée. En conséquence, la croix devrait bien rester là où elle a été implantée. Ce cas d’espèce rappelle les exemples de l’archange Saint Michel aux Sables d’Olonne ou de la vierge Marie à la Flotte en Ré. Les 26.000 pétitionnaires qui se sont mobilisés pour conserver leur croix devraient ainsi être entendus.
Mais comme souvent en droit public un cas d’espèce anecdotique peut soulever une réflexion de plus grande ampleur. Tel est cas de l’affaire soulevée par une résidente de ce village qui ne compte qu’une cinquantaine d’âmes. Le Président de la collectivité de Corse, Gilles Siméoni, a notamment fait valoir que la décision du tribunal administratif de Bastia touche à ce qui constitue les Corses au plus profond d’eux-mêmes, en tant que symbole d’un enracinement. Il est aussi ajouté par d’autres que cette croix est une partie prenante du paysage, du patrimoine rural et de la transmission des traditions corses.
Autrement dit pour les Corses, cette croix est avant tout le marqueur d’une identité culturelle à laquelle les insulaires sont attachés par-delà la foi de tel ou tel. C’est en cela que l’affaire est intéressante. Bien que, ou peut-être parce que l’on semble assister à la fin de la chrétienté si l’on en croit la philosophe Chantal Delsol, cet attachement à certains marqueurs identitaires comme la croix à Quasquara peut s’interpréter comme une réaction à l’emprise de la civilisation monde qui s’étend inexorablement, pousse à l’effacement des particularismes culturels qui ont façonné l’Occident et nous rend amnésiques à nos propres origines.
D’aucuns en France pensent que la laïcité pourrait être porteuse d’une civilisation de substitution. L’intention de certains pères de la loi de 1905 de déchristianiser la France à travers cette loi a pu laisser penser que la laïcité dessinerait la silhouette d’un homme nouveau qui heureusement n’est jamais advenu.
Nul ne sait si, comme à la fin de l’empire romain, la civilisation judéo-chrétienne est sur le point d’être remplacée par une autre civilisation au sujet de laquelle les avis divergent. Sachons en revanche entendre l’attachement exprimé par certains à la singularité culturelle dont nous avons hérité, car elle forge la cohésion nationale par-delà les vicissitudes politiques du moment, elle agrège autour d’un récit que les nouvelles générations doivent savoir s’approprier, aux antipodes de la haine de soi généralisée qui prévaut trop souvent. La laïcité n’en sera pas moins confortée, au contraire. Elle a pour but de déconfessionnaliser l’Etat, mais non celui d’enrégimenter la société.
C’est le moment peut-être de reconnaître que nous sommes tous un peu des Corses !
Daniel Keller
Directeur dans un groupe de protection sociale, président des Anciens Elèves de l’ENA en entreprise, ex-président de l’association des Anciens Elèves de l’ENA, Ancien membre du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE).

















