
La Réunion, Saint-Paul cède 70 hectares de savane au Conservatoire du littoral
Sous le soleil brûlant du Cap la Houssaye, les hectares de savane se réduisent un peu plus chaque année, rongés par l’urbanisation et les plantes invasives. Hier, le conseil municipal de Saint-Paul a tranché : 70 hectares seront cédés au Conservatoire du littoral pour un montant de 470 000 euros. Derrière ce chiffre sec, les élus disent avoir voulu poser un « acte politique fort », un choix présenté comme celui du long terme contre la spéculation immédiate.
Ironie de calendrier, la décision est tombée quelques minutes après le feu vert donné à l’aménagement d’une zone d’activités à Plateau Caillou, en plein cœur de la savane. Depuis trente ans, le projet ressurgit régulièrement, combattu par des collectifs écologistes au nom de la préservation d’un environnement menacé. Mais la machine s’est remise en marche, les bulldozers sont attendus. Et c’est dans ce climat de bétonisation rampante que les élus ont validé la vente au Conservatoire.
Cette institution publique tente depuis des années de reprendre la main sur des terrains morcelés entre privés et collectivités. En 2019, une vaste opération d’expropriation avait même été lancée sur 150 hectares. Elle avait échoué, minée par les volte-face politiques, l’opposition d’une partie de la population et l’avis négatif du commissaire enquêteur. La cession votée aujourd’hui sonne comme une revanche. Avec déjà 200 hectares en portefeuille, le Conservatoire renforce son emprise sur un espace fragile, symbole de Saint-Paul et carte postale vivante de l’île.
Pour les défenseurs du projet, il ne s’agit pas d’une simple opération foncière, mais de la garantie que le site sera protégé durablement. La première adjointe, Suzelle Boucher, a insisté sur la nécessité de transmettre ce patrimoine à une institution compétente. Des études environnementales sont promises pour préserver l’écopastoralisme et l’écobrûlage, pratiques anciennes que l’on souhaite maintenir avec l’appui d’associations et d’éleveurs de cabris péi ou de bœufs moka.
Mais la décision ne fait pas l’unanimité. L’opposant et ancien maire Alain Bénard a dénoncé ce qu’il considère comme un « dessaisissement du patrimoine communal » au profit d’organismes « qui ne représentent qu’eux-mêmes ». Le maire Emmanuel Séraphin lui a répondu sans détour : préserver ces espaces exige de les confier à ceux dont c’est la mission. Le débat illustre une fracture politique classique : entre ceux qui prônent la protection de long terme et ceux qui dénoncent la perte de maîtrise locale.
La savane n’était qu’un dossier parmi 67 inscrits à l’ordre du jour. Le conseil municipal a également validé 12,9 millions d’euros d’investissements pour restaurer ponts et passerelles détruits, et relancé le serpent de mer du Maïdo. L’hôtel abandonné depuis vingt ans pourrait renaître sous la bannière de la société Mikado, prête à investir 17 millions pour un établissement trois étoiles, 45 chambres, un restaurant, deux salles de séminaires et un espace bien-être. Les promesses, là encore, rappellent de vieux rêves : deux projets avortés ont déjà laissé le bâtiment à l’abandon. L’opposante Audrey Fontaine n’a pas manqué de pointer l’échec répété de la majorité.
Entre la renaissance espérée d’un hôtel fantôme et la cession d’une savane menacée, le conseil municipal de Saint-Paul aura confirmé une évidence : l’avenir du territoire se joue en équilibre instable entre la bétonisation assumée et la sauvegarde d’espaces naturels que certains jugent déjà condamnés.
Patrice Clech

















