
Trafic démantelé à Mayotte : proxénètes, passeurs et argent sale
À Mayotte, l’affaire a des allures de scénario noir. En quelques jours, seize personnes ont été interpellées et une douzaine mises en examen pour avoir organisé un réseau criminel d’une ampleur inédite. Leur business consistait à faire passer chaque mois des centaines de clandestins depuis Madagascar jusqu’à l’île française de l’océan Indien. Certaines des femmes, isolées et vulnérables, finissaient exploitées dans des réseaux de prostitution.
La gendarmerie, épaulée par l’office de lutte contre le trafic illicite de migrants, a frappé fort. Les gardes à vue se sont déroulées dans la nuit du 7 au 8 septembre. Dix des suspects, nés entre 1957 et 2006, dorment désormais derrière les barreaux du centre pénitentiaire de Majicavo. Le parquet de Mamoudzou parle d’un dossier où se mêlent proxénétisme aggravé en bande organisée, traite d’êtres humains et aide à l’entrée et au séjour irrégulier.
L’opération a mis au jour une mécanique rodée : des départs depuis Madagascar, une arrivée à Mayotte, puis pour certaines jeunes femmes, la bascule vers l’exploitation sexuelle. Vingt-deux victimes malgaches en situation irrégulière ont été identifiées. La gendarmerie précise que les mis en cause sont de nationalité malgache, comorienne et française.
Au-delà de l’aspect humain, le dossier révèle aussi l’argent sale généré par ce système. Plus de 207 000 euros auraient été blanchis. Les perquisitions ont permis de saisir environ 6 000 euros en liquide, un pistolet d’alarme, un taser, un véhicule et cinq moteurs de bateau, autant d’outils logistiques qui servaient à alimenter le trafic.
Le procureur Guillaume Dupont évoque une « étroite collaboration » entre la section de recherches locale et les unités spécialisées nationales. Les peines encourues donnent la mesure de la gravité : jusqu’à vingt ans de réclusion criminelle et trois millions d’euros d’amende.
Ce coup de filet s’inscrit dans un contexte explosif. Département français depuis 2011, Mayotte est sous pression constante. L’île, séparée de l’archipel des Comores par seulement 70 kilomètres de mer, voit affluer régulièrement des kwassa-kwassa bondés de passagers qui tentent la traversée au péril de leur vie. La moitié de la population mahoraise est aujourd’hui étrangère, principalement d’origine comorienne, accentuant les tensions sociales et politiques.
Le démantèlement de ce réseau, spectaculaire dans son organisation et ses ramifications, illustre crûment les failles que la pauvreté, la proximité géographique et la demande de main-d’œuvre bon marché laissent béantes. À Mayotte, l’économie parallèle prospère, et les filières de passeurs savent en tirer profit. Cette fois, la justice a mis la main sur un maillon puissant. Mais tout le monde, sur l’île, sait déjà que d’autres embarcations clandestines ont pris la mer.
Patrice Clech

















