
Polynésie : Papeete défile contre le poison de l’ice
Samedi, les rues de Papeete ont grondé sous les pas de près de 6 500 manifestants venus crier leur rejet d’une drogue qui ronge la société depuis vingt ans : la méthamphétamine, rebaptisée « ice » dans les archipels. Derrière les banderoles, associations, églises, élus et simples anonymes ont répondu à l’appel de la Fédération citoyenne polynésienne de lutte contre les drogues et la toxicomanie. Le message est clair : la Polynésie ne veut plus fermer les yeux sur un fléau qui touche toutes les couches sociales et laisse derrière lui des familles brisées.
Le constat est implacable. Stimulant redouté pour ses effets d’endurance et de performance, l’ice détruit en silence corps et esprits. L’addiction frappe sans distinction et s’invite autant dans les quartiers défavorisés que dans les foyers insérés. Certains parlent désormais d’une véritable « neige tahitienne », tant la drogue circule. Les proches des consommateurs décrivent des descentes violentes, des crises ingérables, une détresse familiale quotidienne. Une spirale qui laisse les associations démunies et les pouvoirs publics souvent dépassés.
Face à cette urgence, les organisateurs de la marche réclament des mesures concrètes. Plus de moyens pour les douanes et la surveillance maritime, car la Polynésie reste une porte d’entrée stratégique pour les trafiquants du Pacifique. Plus d’infrastructures médicales aussi, à commencer par un centre de désintoxication, toujours absent malgré la gravité de la situation. Selon la Fédération, près de 30 000 personnes seraient déjà concernées, soit plus d’un habitant sur dix. La procureure de la République refuse de confirmer ces chiffres, faute d’indicateurs fiables, mais reconnaît que l’ice est désormais en toile de fond de nombreuses affaires pénales.
Les saisies récentes donnent la mesure du problème. Depuis janvier, 265 kilos de méthamphétamine ont été interceptés en Polynésie, dont une cargaison record de 181 kilos repérée à bord d’un voilier dans les Marquises en juillet. Officiellement, cette drogue n’était pas destinée au marché local, mais les réseaux d’importation sont bien là et les flux, massifs.
À Papeete, la marche de samedi aura donc servi de coup de semonce. Elle révèle une population qui ne se résigne plus, consciente qu’un territoire de 280 000 habitants ne peut absorber un tel niveau de consommation sans conséquences sociales et sanitaires catastrophiques. Derrière les slogans, une exigence s’impose : que l’État et le gouvernement local engagent enfin une riposte à la hauteur d’une crise qui, au fil des ans, a cessé d’être souterraine pour devenir le visage le plus inquiétant de la modernité polynésienne.
Patrice Clech

















