
À 360 kilomètres de Hao, un minuscule anneau corallien dort dans l’oubli depuis plus de vingt ans. Anuanuraro, vingt hectares de terres isolées entourant un lagon, n’a jamais vu passer le moindre touriste, malgré les promesses d’hôtels de luxe formulées à son rachat par le Pays en 2002. C’était l’époque où Gaston Flosse avait déboursé 850 millions de francs pour sauver l’homme d’affaires Robert Wan de ses difficultés financières. Une transaction qui avait nourri les soupçons de détournement de fonds publics avant d’aboutir à la relaxe des deux protagonistes en 2017. Depuis, l’atoll n’a rien vu pousser, hormis la végétation.
Aujourd’hui, c’est une tout autre idée qui s’y accroche : en faire un centre de désintoxication à ciel ouvert. Le président polynésien Moetai Brotherson, invité d’une matinale radio, l’a annoncé avec un sourire qui n’effaçait pas la détermination de son propos. Face à l’explosion du fléau de l’ice en Polynésie française, il veut frapper fort et différemment : utiliser cet atoll désert pour accueillir volontairement des usagers en cure.
Sur le papier, l’image est presque cinématographique : une île coupée du monde, loin des réseaux, du trafic, des tentations, où l’horizon et le silence serviraient d’alliés à la reconstruction. Mais le scénario se heurte immédiatement à des contraintes juridiques : un centre isolé peut ressembler à une détention à ciel ouvert, ce qui relève du domaine régalien et donc de l’État. Brotherson l’admet : pour l’instant, on lui oppose cet argument. Il rétorque qu’en misant sur le volontariat, la formule pourrait passer.
Cette annonce est intervenue une semaine après que le chef de l’exécutif local a publiquement reproché à l’État son inaction – ou son action « insuffisante » – face à la drogue de synthèse. Il s’agit aussi, pour lui, de rappeler que le Pays ne reste pas les bras croisés : une campagne de sensibilisation anti-ice est en cours et doit s’étendre dans les écoles ; un projet de filière locale de chiens détecteurs de drogue, baptisé « Maohi Dogs », est dans les tuyaux ; et les associations de terrain sont appelées à renforcer la prévention et l’accompagnement. Mais le président le sait : sans prise en charge efficace des usagers, l’ice continuera de gangrener le fenua.
Depuis 2012, la Polynésie attend l’ouverture d’un pôle de santé mentale à Taaone, dont la construction a longtemps été paralysée par des obstacles politiques et techniques. Brotherson promet son ouverture d’ici la fin de l’année : il offrira enfin une unité d’hospitalisation pour le sevrage, un suivi post-cure et des consultations d’addictologie. Un progrès, mais loin de suffire à absorber un problème que le président estime désormais concerner 30 000 Polynésiens, contre 10 000 en 2022.
Dans la commune de Hao, dont dépend Anuanuraro, la maire Yseult Butcher-Ferry a accueilli la nouvelle avec surprise. Elle dit soutenir l’idée d’un centre de désintoxication, mais s’interroge sur le choix d’un atoll « où il n’y a rien ». Ni infrastructures, ni piste d’aviation fonctionnelle : tout serait à construire. « Je ne sais pas s’il connaît bien l’atoll », lâche-t-elle, tout en affirmant vouloir en discuter avec lui. Lui préfère conclure sur une pirouette : à ceux qui rappellent qu’Anuanuraro devait accueillir un hôtel 5 étoiles, Brotherson répond qu’il y en aura « 5 000 »… Il suffira de lever les yeux la nuit.
Patrice Clech

















