
Elles sont soixante-dix, peut-être un peu plus. Majoritairement créées depuis moins de cinq ans, rarement au-delà de trois. Et elles avancent, à leur rythme, dans un environnement insulaire encore peu armé pour propulser l’innovation à grande échelle. Selon une récente étude de l’IEDOM, les startups à La Réunion constituent un écosystème naissant, fragile, mais porté par quelques ambitions solides. Les chiffres, eux, racontent une histoire contrastée : huit jeunes pousses sur dix ne dépassent pas les 100 000 euros de chiffre d’affaires, et presque autant n’emploient pas plus de cinq salariés. La promesse est là, mais la réalité reste celle d’un modèle encore en construction.
Ce qui frappe, c’est le profil de ces dirigeants : diplômés pour la plupart, expérimentés souvent, masculins très majoritairement. Deux sur trois ont plus de 40 ans, 93 % sont passés par l’enseignement supérieur, mais seules 15 % des fondatrices sont des femmes. Le plafond de verre, lui, ne s’est pas évaporé sous les tropiques. Pourtant, ces entrepreneurs, aguerris ou en reconversion, ne manquent ni d’idées ni de résilience. C’est dans leurs épaules que repose l’essentiel du projet, car l’écosystème, bien qu’en place, n’offre pas encore tous les outils nécessaires à un passage à l’échelle rapide.
La plupart des startups réunionnaises s’inscrivent dans des secteurs porteurs : la santé, l’écologie, les big data, l’agroalimentaire. Mais peu peuvent se vanter d’être vraiment « scalables ». L’accompagnement, lui, est plébiscité : trois dirigeants sur quatre ont bénéficié d’un incubateur ou d’un accélérateur, souvent sur 18 mois. Reste que les structures existantes, comme French Tech Réunion ou Digital Réunion, ne suffisent plus à répondre aux besoins de pilotage pointu. Beaucoup réclament des mentors expérimentés, des comités d’experts ancrés localement, bref, un tissu de soutien plus fin, plus stratégique.
Mais le nerf de la guerre, encore et toujours, reste l’argent. Moins d’un quart des startups ont levé des fonds, pour un total de 40 millions d’euros – dont les deux tiers absorbés par quelques structures déjà bien établies. Les aides publiques existent, mais sont jugées lourdes, lentes, et post-dépense. Quant aux business angels, ils sont rares et très sollicités. Sans apport extérieur au bon moment, beaucoup peinent à passer le cap de l’amorçage.
L’IEDOM le souligne : les startups locales doivent revoir leurs ambitions à la baisse pour survivre. Pas de rêves de licornes ici. Il s’agit plutôt d’adopter les réflexes d’une PME : viser la rentabilité, suivre de près les attentes du marché, ajuster les dépenses à l’euro près. La frugalité est un mot d’ordre, tout comme l’agilité dans le time-to-market. En clair, il faut aller vite, sans gaspiller.
Le potentiel est là, mais il reste enfermé dans les contraintes d’un territoire insulaire. Marché étroit, éloignement, coûts logistiques élevés : La Réunion n’est pas encore un eldorado numérique. Mais dans cet équilibre instable entre enthousiasme entrepreneurial et précarité économique, certains commencent déjà à tracer leur sillon. Avec méthode, prudence… et pas mal d’obstination.
Patrice Clech

















