
Dans l’océan Indien, la souveraineté alimentaire n’est plus un objectif théorique : c’est une question de survie. À Mayotte comme à La Réunion, les crises s’enchaînent, les inégalités s’aggravent, et l’assiette se vide. Derrière les slogans sur l’autonomie agricole se cache une réalité implacable : des territoires français où plus d’un tiers de la population a du mal à se nourrir correctement.
Mayotte, département le plus jeune et le plus pauvre de France, cumule les fragilités. Le cyclone Chido, en décembre 2024, a laissé des stigmates profonds. Depuis, plus de 57 % des Mahorais sont en situation d’insécurité alimentaire. La Réunion, pourtant bien plus dotée en infrastructures et en capacités de production, affiche elle aussi des chiffres préoccupants : près de 30 % de la population est vulnérable, avec des pics de précarité après les cyclones Belal et Garance. En 2024, 36 % des Réunionnais vivaient sous le seuil de pauvreté.
Dans les champs, les cultures tombent les unes après les autres. À La Réunion, la canne, les fruits, les légumes, les élevages… tout a souffert. Sécheresse, vents violents, pluies diluviennes : les saisons ne pardonnent plus. Et malgré une production locale non négligeable, les étals restent dépendants des importations, avec des coûts logistiques qui explosent. Le système montre ses limites.
Les associations, elles, multiplient les opérations d’urgence. À Mayotte, la Croix-Rouge, Solidarité Mayotte ou encore le collectif Haki Za Wanatsa assurent des distributions alimentaires et de fournitures. À La Réunion, le Secours catholique et la Banque alimentaire sont en première ligne. Mais la réponse associative ne peut, à elle seule, compenser les carences d’un modèle structurellement fragile.
L’État tente de réagir. Un fonds d’urgence de 200 millions d’euros a été débloqué pour La Réunion. Le département a promis 15 millions pour soutenir les agriculteurs. À Mayotte, des projets de production vivrière sont relancés avec l’appui du Cirad et de la FAO. Mais sur le terrain, les obstacles restent immenses : rareté des terres agricoles, insularité, dépendance aux importations, formation insuffisante, faible mécanisation. Et, au cœur de tout cela, une pauvreté persistante qui entrave l’accès à l’alimentation.
À Mayotte, l’école cristallise la crise. Plus de 117 000 élèves n’ont pas accès à une cantine. Dans certains établissements, comme au lycée de la Cité du Nord à Acoua, la direction a envisagé un temps de supprimer les récréations pour éviter les tensions et les sorties à la recherche de nourriture. Une décision impensable, selon les élus locaux, qui appellent à un plan alimentaire d’urgence dans les écoles.
Parler de souveraineté alimentaire dans ces conditions dépasse le seul champ agricole. Il s’agit d’abord de justice sociale, d’accès à la dignité, et d’un droit fondamental : celui de manger à sa faim. Sans cantine, sans circuits courts fonctionnels, sans appui massif aux filières locales, le concept reste un slogan vide. Les habitants, eux, attendent des réponses concrètes. Dans l’assiette. Rapidement.
Patrice Clech

















