
Quand les sirènes d’évacuation ont retenti aux Marquises, dans la nuit de mardi à mercredi, cela faisait déjà huit heures que les scientifiques du Laboratoire de géophysique (LDG) de Tahiti suivaient à la trace les ondes du tsunami. Une onde née à plus de 8 000 kilomètres de là, au Kamtchatka, mais dont la trajectoire, la vitesse et la puissance ont été modélisées localement, minute après minute. Si l’État a pu activer l’alerte à temps, c’est grâce aux prévisions millimétrées de ce centre discret mais décisif.
Créé il y a plus de 60 ans, le LDG n’a rien d’une structure de seconde zone. Adossé au Commissariat à l’énergie atomique, il fait partie des piliers français en matière de surveillance sismique et de prévention des tsunamis. Dès les premières secondes du séisme russe, les capteurs du Pacifique se sont affolés. Les Américains ont lancé leurs alertes automatiques. Mais ce sont bien les modélisations du LDG, taillées pour le relief polynésien, qui ont permis de prendre les bonnes décisions, au bon moment.
À Nuku Hiva, les habitants ont été avertis d’une possible vague de quatre mètres. Un chiffre de « précaution », selon le directeur du LDG Stéphane Quéma, mais basé sur des réajustements en temps réel. Les modèles ont été « remoulinés » dans la soirée : les capteurs ont révélé un phénomène plus intense que prévu initialement sur certaines baies, notamment Taipivai. L’information est remontée aussitôt à la cellule de crise. Et la prévention a suivi.
Car un tsunami, ce n’est pas une vague hollywoodienne qui déferle en une fois. C’est une oscillation longue, faite de montées et de retraits brutaux du niveau de la mer, parfois sur plusieurs heures. D’où la nécessité d’une vigilance prolongée, même après les premiers pics. À Taiohae, le niveau est monté de 1,50 mètre, en ligne avec les prévisions du laboratoire.
Si les Marquises ont été particulièrement exposées, ce n’est pas tant en raison de leur orientation que de leur plancher océanique. Le relief sous-marin joue ici un rôle de caisse de résonance. À l’inverse, les Tuamotu, pourtant plus proches, ont été peu impactés. Une illustration frappante de la complexité des tsunamis, où la forme des fonds marins compte parfois plus que la direction d’arrivée des ondes.
Dans l’ombre des plans Orsec et des décisions préfectorales, le LDG incarne donc l’autre visage de la sécurité civile : celui de la science appliquée, ancrée localement, capable de transformer des données brutes en alertes vitales. Et ce n’est pas terminé. Les centaines de relevés collectés cette nuit-là seront analysés pour affiner encore les futures prévisions. Car le Pacifique ne dort jamais. Et à Tahiti, un laboratoire veille.
Patrice Clech

















