
Thomas Degos, la lame de fond de Manuel Valls
Il avance comme une ombre portée, mais chaque fois qu’il surgit, les lignes bougent. À 53 ans, Thomas Degos reprend du service là où il a laissé une empreinte durable : au cœur des Outre-mer. Nommé directeur de cabinet de Manuel Valls ce 20 juillet, il revient à son terrain de jeu préféré, dans un rôle de stratège discret et redoutablement efficace. L’homme, pourtant peu connu du grand public, incarne un certain type de haut fonctionnaire : lettré, politique, technicien — et profondément habité par le sens de l’État. Ce n’est pas un hasard si Valls l’a choisi. Ce n’est jamais un hasard avec Valls.
Degos ne sort pas de nulle part. Il surgit d’une tradition bien française, celle des têtes pensantes aux mains calleuses. Ancien du collège Stanislas, passé par la Sorbonne, l’EHESS, Sciences Po Aix, puis l’ENA — promotion Cyrano de Bergerac —, il a la plume acérée, le verbe rare, et la loyauté têtue. Son parcours est une fresque : préfet à Mayotte en pleine crise sociale, bras droit de Borloo pour le Grenelle de l’environnement, artisan de l’architecture du Grand Paris, préfet du Morbihan, directeur de la DGOM sous Hollande, puis chef de cabinet d’Annick Girardin. En 2020, on lui confie une mission interministérielle sur la crise du Covid. L’État, il le connaît de l’intérieur comme de l’extérieur, et surtout dans ses angles morts.
L’Outre-mer, pour lui, n’est pas un simple portefeuille administratif. C’est un théâtre d’opérations réelles, où se jouent les tensions les plus vives entre république et territoires. Il y a laissé des traces, bonnes ou mauvaises, mais jamais neutres : directeur de cabinet du préfet de la Guadeloupe (2000-2002), préfet de Mayotte (2011-2013), directeur général des Outre-mer (2013-2015), directeur de cabinet de la ministre des Outre-mer Annick Girardin (2018-2019)…
Il revient aujourd’hui rue Oudinot pour gérer un ministère de tous les dangers, dans une France fracturée et un gouvernement qui peine à retisser du lien avec les confins.
Le retour de Manuel Valls au gouvernement, fin 2024, avait provoqué un mélange d’étonnement et d’indifférence. Son passage place Beauvau reste dans les mémoires, mais depuis, les scrutins et les exils l’avaient relégué au statut de revenant. Pour réussir son come-back, il lui fallait un homme de confiance. Un opérateur. Un chirurgien froid capable de s’attaquer aux dossiers brûlants : vie chère aux Antilles, transition énergétique en Guyane, tensions calédoniennes, immobilisme réunionnais.
Degos n’est pas un homme de tribune. Il est un homme de méthode. Mais sa méthode est politique. Et c’est précisément ce qui manquait à ce ministère, souvent réduit à une fonction de représentation. Son retour est donc une réponse directe à l’urgence : faire, plutôt que dire. Débloquer, plutôt que planifier. Agir vite, et en profondeur.
Il y a chez Degos une austérité qui détonne dans un monde ministériel peuplé de communicants. Il parle peu, il écrit beaucoup. Il sait l’histoire, cite la philosophie, et travaille ses dossiers comme on polit une lame. Il ne cultive aucun charisme, et c’est ce qui le rend dangereux pour ceux qui confondent lumière et pouvoir. Ce n’est pas un homme d’apparence, c’est un homme d’influence.
Mais à ce niveau de responsabilités, la loyauté est un sport de combat. Et ce retour en grâce, après quelques années à la périphérie du pouvoir, a un prix : il devra livrer des résultats. Le ministère des Outre-mer est un piège autant qu’un tremplin. Il expose, il use, il révèle. Degos en connaît les pièges, les rancœurs, les lenteurs administratives et les colères populaires. Mais il y revient sans illusion, avec une obsession : l’efficacité.
On dit souvent que les directeurs de cabinet sont les véritables ministres. Dans le cas de Degos, la formule pourrait se vérifier plus que jamais. Il n’est ni le bras droit, ni l’éminence grise : il pourrait être la colonne vertébrale du ministère. Valls compte sur lui pour tenir les promesses politiques là où les arbitrages se noient. Et si cette mission échoue, ce ne sera pas faute d’avoir placé, à ce poste clé, un homme capable de traverser les tempêtes sans renier sa boussole.
Patrice Clech

















