
Il est à la tête de la plus grande obédience maçonnique française. Nicolas Penin, grand maître du Grand Orient de France, ancien conseiller principal d’éducation et militant syndical, originaire du Pas-de-Calais, répond à Opinion Internationale sur son projet d’inscription dans la Constitution des deux premiers articles de la loi de 1905 sur la laïcité, et sur les enjeux politiques à venir, notamment l’élection présidentielle de 2027.
Opinion Internationale : bonjour Nicolas Penin et merci de nous recevoir dans cette salle du Conseil de l’Ordre du Grand Orient de France. Vous portez le projet d’inscrire les deux premiers articles de la loi de 1905 dans la Constitution qui se contente, rappelons-le, d’un adjectif et dispose dans son article 1 que la France est une République « laïque » ? Pétition, colloques alimentent cette initiative. Pourquoi ?
Parce que le contexte politique, social et culturel rend ce projet plus nécessaire que jamais. La laïcité n’est, en effet, aujourd’hui qu’un adjectif dans la Constitution. Nous voulons lui donner une véritable portée juridique, en constitutionnalisant la liberté absolue de conscience et la séparation des Églises et de l’État. Cette démarche, adoptée par le Convent du Grand Orient de France, s’inscrit dans une dynamique de protection et de clarification de nos principes fondamentaux.
La loi de 1905 est une loi simple. Elle peut être amendée, contournée, affaiblie. Or, dans un contexte de remise en cause des principes républicains, il est crucial de les ancrer au plus haut niveau juridique. La liberté absolue de conscience est un idéal qui garantit à chacun le droit de croire ou de ne pas croire. La séparation des Églises et de l’État protège la neutralité de l’espace public et empêche toute ingérence des institutions religieuses dans les affaires de l’État. C’est un principe de concorde, pas de combat. Loin d’être dirigé contre une religion, il vise à protéger la liberté de tous.
Certains considèrent que la loi de 1905 est dépassée face à la montée de l’islam radical. Je m’explique : contrairement au principe de séparation de 1905 qui permettait de limiter l’influence de l’Eglise catholique, l’islam radical, lui, doit, de façon consubstantielle à sa nature même, être pris en main, presque « nationalisé » par le politique sous peine que ce soit le religieux qui prenne le pouvoir sur le politique. Partagez-vous cette analyse ?
Non. La loi de 1905 n’est pas obsolète : elle est au contraire un rempart précieux. Prétendre qu’elle empêche la lutte contre l’islam radical, c’est mal comprendre son objet. Ce n’est pas à l’État de gérer le culte ; c’est aux croyants, dans le respect des lois. Il existe des outils dans la loi pour encadrer les dérives. La police des cultes, prévue par la loi elle-même, permet d’agir contre les discours de haine. Mais la laïcité ne doit jamais devenir une arme contre une religion. Ce serait la pervertir.
Et pourtant, certains politiques plaident pour une révision de la loi afin de mieux réguler l’islam de France…
Ce qu’il faut, c’est rappeler les principes et exiger leur application. L’islam radical est un danger. Mais on ne répond pas à la radicalité par la stigmatisation. On y répond par la République. La loi de 1905, c’est l’outil de l’État pour garantir une société pacifiée, où les cultes n’imposent pas leurs normes à tous. L’ensemble des religions, y compris l’Église catholique, ont historiquement cherché à exercer un pouvoir politique. La laïcité, c’est justement ce qui permet de les contenir.
Comment évaluez-vous la réception politique de votre projet ? L’inscription dans la Constitution dépend largement du bon vouloir du président de la République. Emmanuel Macron est venu prononcer des discours prolixes devant le Grand Orient de France et la Grande Loge de France ces dernières années. Vous a-t-il confié son point de vue sur votre projet d’inscrire la loi de 1905 dans la Constitution ?
Le président de la République ne s’est pas prononcé pour le moment. Un ancien président, François Hollande, avait inscrit cette idée dans son programme. Elle n’a jamais été mise en œuvre. Il est temps de relancer le débat.
On entre dans une période décisive pour la France. Quels sont les enjeux de l’élection présidentielle de 2027 selon vous ?
Nous vivons une crise de confiance profonde. La parole publique est discréditée. Le lien démocratique s’effrite. Le Grand Orient a appelé ses loges à travailler à « réparer la République » par des actions concrètes sur l’école, la santé, les inégalités, la pauvreté.
A l’approche notamment des prochaines élections municipales, nous avons rencontré de nombreux maires, dans toutes les régions. Il faut renouer le lien civique. L’angoisse sociétale est réelle. Les Français cherchent des repères. Le risque est que certains se tournent vers les extrêmes.
Imaginons un second tour entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Que fera le Grand Orient ?
Je ne peux pas parler au nom de toute l’obédience à 18 mois de l’échéance. Mais je peux dire que les valeurs du Grand Orient sont incompatibles avec celles portées par l’extrême-droite.
Et pas celles de l’extrême-gauche ? Je rappelle que Jean-Luc Mélenchon est franc-maçon et est passé d’un laïcisme de combat hostile au voile par exemple à un communautarisme assumé.
Jean-Luc Mélenchon a des positions communautaristes en effet qui nous inquiètent également. C’est dans ces moments que l’initiation maçonnique prend tout son sens : se rappeler que nous sommes au service de valeurs universalistes, de liberté, d’émancipation. Il faudra se positionner le moment venu, mais sans renier nos fondamentaux.
La question « j’entre dans l’histoire ». Si une loi ou une décision historique devait porter votre nom, laquelle serait-elle ?
Ce serait évidemment l’aboutissement de notre projet de réviser la Constitution sur la laïcité mais elle ne porterait pas mon nom mais celle de cette chaîne de franc-maçons qui ont, depuis la Révolution française dont nous venons de célébrer le 14 juillet, et même bien avant, forgé le principe de laïcité. Je suis fier de servir une institution qui place la laïcité, la liberté de conscience et l’émancipation humaine au cœur de son action.
Et pour conclure, comme à notre habitude, « la question langue de bois » : êtes-vous optimiste pour l’avenir de la France ?
Oui, fondamentalement. Je crois que la France porte encore des idéaux forts. Nous devons cesser de nous excuser d’exister. Lorsque je me rends à Beyrouth, à Abidjan, à Erevan ou à Tel-Aviv, le Grand Orient, c’est la France qui vient. Nos idéaux sont attendus, partagés. Il faut en être fier. Trop souvent, les Français passent plus de temps à se dénigrer qu’à construire. Redonnons confiance. Relevons la tête. C’est ainsi que nous ferons vivre la République.
Propos recueillis par Michel Taube




















