Edito
09H40 - vendredi 11 juillet 2025

Pourquoi François Bayrou peut tenir jusqu’en 2027. L’édito de Michel Taube

 

Pourquoi François Bayrou peut tenir jusqu’en 2027. L’édito de Michel Taube

Dans le Tout-Paris politique, les Madame Soleil et Monsieur Météo de la République annoncent déjà, avec la gourmandise propre aux oiseaux de mauvais augure, la chute inéluctable du gouvernement François Bayrou à l’automne prochain. L’échéance est connue : la rentrée parlementaire d’octobre, les débats explosifs sur les budgets de l’État et de la sécurité sociale. Tous les ingrédients d’un naufrage sont en apparence réunis. 

Et si le maire de Pau, l’éternel centriste aux neuf vies, parvenait à déjouer tous les pronostics ? Et s’il tenait jusqu’à la présidentielle de 2027, à sa manière : en glissant entre les coups, en échappant à la scène autant qu’au scandale, en survivant par l’absence d’alternative plus crédible que lui ?

Plusieurs raisons plaident pour cette hypothèse que certains jugeront improbable, mais que le bon sens politique encouragerait peut-être de considérer sérieusement.

D’abord, l’état des marchés financiers. Depuis une semaine, la France emprunte à des taux d’intérêt supérieurs à ceux de l’Italie. Incroyable mais vrai. Cette inversion du risque est un signal d’alarme d’une gravité extrême : cela signifie que les investisseurs jugent plus risqué de prêter à Paris qu’à Rome. Or, dans ce contexte d’hyper-volatilité budgétaire, la moindre incertitude institutionnelle peut faire vaciller l’équilibre financier de la France. Une chute du gouvernement Bayrou à l’automne — en pleine discussion budgétaire — provoquerait un séisme économique dont les répliques seraient immédiates : envolée des taux, pression sur l’euro, défiance des agences de notation, recul de la croissance. Qui, au sein du Rassemblement national ou du Parti socialiste, voudra porter la responsabilité d’un tel chaos ? Même les partis les plus critiques du gouvernement se savent attendus au tournant. Ils aspirent à gouverner, certes, mais pas au prix de faire s’effondrer la maison France.

Deuxième raison, purement politique celle-là : la position délicate de Marine Le Pen. En cas de dissolution de l’Assemblée nationale provoquée, en guise de riposte élyséenne, par une motion de censure victorieuse contre Bayrou, la présidente d’honneur du RN ne pourrait pas se représenter. Son mandat de députée serait menacé, et l’on sait combien, au sein du camp national, cette tribune parlementaire est précieuse à ses yeux. Le risque est grand pour elle de se retrouver marginalisée dans les débats de l’hémicycle à deux ans de l’élection présidentielle. Faut-il vraiment prendre ce risque au nom d’un renversement prématuré du gouvernement, alors que le fruit du pouvoir pourrait tomber de lui-même dans l’escarcelle du RN, en 2027, avec une majorité nouvelle et plus cohérente ?

Enfin, la troisième raison est plus tactique mais tout aussi puissante : la séquence électorale à venir. Dès la rentrée de fin août, tout le personnel politique — de droite, de gauche, du centre ou des marges — sera mobilisé par la préparation des élections municipales de mars 2026. Une crise politique majeure détournerait l’attention des Français, découragerait les électeurs et brouillerait les cartes dans les territoires. Or, dans notre démocratie d’implantation locale, les municipales restent le socle de toute stratégie nationale. Aucun parti n’a intérêt à saboter cette échéance en provoquant une nouvelle crise institutionnelle.

Emmanuel Macron, qui connaît les ressorts de la menace institutionnelle mieux que quiconque, garde dans sa manche l’arme nucléaire d’une dissolution. Mais même ce bluff pourrait être caduc : qui veut vraiment revivre l’épisode de juin 2024 ? Pourquoi rejouer ce drame à l’identique au printemps 2026, avec des conséquences potentiellement plus graves encore ?

Au fond, François Bayrou est un Premier ministre paradoxal : lent, effacé, presque insaisissable. Il est l’antithèse des profils jupitériens ou technocrates qui ont occupé Matignon sous Macron. Sa bonhomie naturelle, sa silhouette courbée, sa parole lente et précautionneuse font de lui une sorte d’anguille républicaine, insaisissable, insubmersible. Il n’offre aucun angle d’attaque net à ses adversaires. Là où Élisabeth Borne crispait, il endort. Là où Gabriel Attal agaçait, il flotte. Les Français ne l’aiment guère, mais surtout, ils s’en moquent. Et c’est peut-être là son atout maître : il est devenu transparent, et donc intangible. Et puis parfois il sait sortir les griffes : face aux attaques de la commission parlementaire sur Bettharam, il a magistralement appliqué l’adage “la meilleure défense, c’est l’attaque”.

De surcroît, on ne peut lui reprocher de ne pas agir : le conclave sur les retraites va finir par aboutir à des ajustements du système, la loi PLM, sauf censure massive du Conseil constitutionnel, va changer la donne des prochaines municipales à Paris et optimise les chances de Rachida Dati de l’emporter, deux lois agricoles tant attendues. 

François Bayrou dévoile aussi un certain art de gérer son équipe gouvernementale. Entouré de quelques poids lourds de la vie politique française, à commencer par Bruno Retailleau, il réussit plutôt à se poser en chef d’orchestre plus qu’en véritable patron jupitérien de l’équipe gouvernementale.

François Bayrou fait confiance à ses ministres, plus que ce que l’on croit. Quitte à se désintéresser trop de certains dossiers ? Vis-à-vis de Manuel Valls à qui il a confié les Outre-mer (et à qui il a rendu visite lors du mini Comité interministériel des Outre-mer hier 10 juillet), on a l’impression que le Premier ministre laisse à l’un de ses prédécesseurs le champ libre et la liberté d’avancer au pas de charge. Au grand dam des Outre-mer et de toute la France puisque l’ancien Premier ministre se révèle beaucoup plus socialiste que libéral dans ses projets sur la vie chère et la Nouvelle-Calédonie. Au risque de faire éclater le bloc central dans les prochains mois ? Espérons que Français Bayrou (et Emmanuel Macron) aura le dernier mot. Vous me direz, le sauvetage de nos Outre-mer mériterait bien une crise gouvernementale.

François Bayrou ne gouverne pas totalement, minorité parlementaire oblige. Mais il s’accroche, il contourne, il amortit. Et cela suffit peut-être, en ces temps troublés, pour rester à Matignon. Non pas pour changer la France, mais pour éviter qu’elle ne s’effondre. C’est un rôle triste mais crucial, et l’Histoire se souvient parfois des timoniers sans éclat qui ont maintenu le navire à flot pendant la tempête.

 

Michel Taube

Directeur de la publication