
Les salons feutrés d’un hôtel de Bougival abritent une drôle de mise en scène. Depuis une semaine, une quarantaine de négociateurs venus de Nouvelle-Calédonie s’y enferment, représentant l’État, les indépendantistes et les loyalistes, censés écrire ensemble un chapitre inédit de l’histoire institutionnelle du territoire. Pourtant, malgré les discours enflammés du sommet de l’Élysée du 2 juillet, aucun accord n’a été signé.
L’ambition présidentielle se heurte au mur des intérêts locaux et des postures idéologiques à Paris.
En toile de fond, le projet d’« État associé », lâché par Manuel Valls et relayé par Emmanuel Macron, a provoqué un électrochoc. Si l’idée a séduit les représentants indépendantistes du FLNKS, elle a immédiatement crispé les loyalistes, dont certains n’ont même pas caché leur espoir d’un changement de gouvernement à l’automne pour faire capoter la dynamique. Résultat : les discussions patinent, chacun avance sur des voies parallèles, tandis que l’exécutif tente de maintenir l’illusion d’un dialogue constructif.
Le camp indépendantiste, mené par Emmanuel Tjibaou, réclame une garantie écrite de la part du président. Il insiste : il ne s’agit pas simplement de réinjecter de l’argent dans un territoire sinistré par les émeutes de 2024, mais de refermer une fois pour toutes ce que beaucoup appellent encore « la parenthèse coloniale ». Du côté loyaliste, la panique est palpable. Le spectre d’une souveraineté masquée, même transitoire, agite les bases militantes. La moindre avancée est vécue comme un reniement. Certains parient ouvertement sur une alternance politique à Paris pour saborder le processus.
Entre-temps, les exigences économiques s’accumulent. L’État a doublé son soutien au territoire, passé de 5 500 à 10 000 euros par habitant, pour un total de 2,7 milliards d’euros en 2024. Mais les contreparties sont claires : réformes structurelles, diversification économique, encadrement budgétaire à l’européenne. Dans les couloirs de l’hôtel Hilton, ces conditions techniques s’ajoutent aux enjeux politiques. Le dossier du nickel, l’endettement, les services publics : tout est sur la table. Mais rien ne bouge.
La séquence politique s’enlise. Les équipes de l’Élysée, de Matignon et du ministère des Outre-mer avancent groupées, tandis que Manuel Valls, remis en selle par Macron, tente de tenir les rênes.
Le président et le gouvernement veulent-ils « brader la souveraineté » de la France, comme le titrait le JDD dimanche ?
Dans cette guerre de positions, les messages se brouillent, les alliances vacillent. Même le vocabulaire change. Le terme « État associé », trop chargé, cèdera-t-il la place à une formule plus floue : « statut sui generis » ?
Pendant ce temps, rien ne filtre d’un éventuel accord. Depuis lundi 7 juillet, on prolonge les chambres d’hôtel. Mardi, on parle transfert de compétences régaliennes, mais sans aborder la période transitoire de 15 à 20 ans imaginée par Macron. L’annonce d’un retour surprise du chef de l’État est lancée, puis démentie. L’ambiance oscille entre huis clos diplomatique et psychodrame feutré.
Reste une équation insoluble. Les indépendantistes veulent engranger un maximum de garanties avant une éventuelle alternance. Les loyalistes, eux, misent sur l’attentisme. Et tous savent qu’avant toute signature, il faudra affronter la base, rentrer au pays, convaincre les militants.
Et au final, c’est le Parlement français qui aura le dernier mot : imagine-t-on les Républicains, alliés et membres du gouvernement Bayrou, soutenir un projet d’Etat-associé qui détricoterait la France, déjà malmenée par les non-alignés ?
Le conclave de Bougival vient aussi se télescoper avec le Comité Inter-ministériel des Outre-mer qui se tient aujourd’hui même à Paris. Réduit à sa portion ministérielle, l’exécutif aurait certainement voulu qu’il entérine les accords de Bougival… Rien n’est moins sûr.
Michel Taube avec Patrice Clech



















