Il est des silences plus assourdissants que des tonnerres d’indignation. Depuis l’arrestation de Boualem Sansal, grand écrivain et intellectuel libre, la République française a réagi avec prudence, parfois avec fermeté, mais pas toujours avec la clarté morale que le moment exigeait. Benjamin Stora, l’un des Français les plus proches des présidents algérien et français, intervenant régulièrement sur les plus grandes chaînes de télévision algériennes, doit désormais choisir : intervenir pour exiger la libération immédiate de Sansal ou quitter ses fonctions de conseiller occulte ou de proche du président algérien Abdelmadjid Tebboune.
Historien reconnu, Benjamin Stora est un passeur de mémoires. Il est l’homme des blessures partagées entre la France et l’Algérie, celui à qui Emmanuel Macron a confié un rapport pour apaiser les douleurs de la colonisation. Il est aussi celui qui, sur le plateau de France 5, a cru bon de dire que Boualem Sansal « blesse le sentiment national algérien ». Depuis quand l’on jette-t-on des écrivains en prison pour avoir froissé des nationalistes à fleur de peau ? Depuis quand un intellectuel français accepte-t-il pareille justification à une incarcération politique dans une dictature ?
Stora connaît Sansal. Il connaît aussi le président Tebboune. Il est en mesure d’agir. Il n’est pas un observateur, il est un acteur. À ce titre, il a des responsabilités. Et cette responsabilité est immense : il peut, par un mot, une lettre ouverte, une tribune, une déclaration publique, faire bouger les lignes. Il peut sauver l’honneur de la République, et peut-être la vie d’un homme de 75 ans atteint d’un cancer, détenu pour avoir dit ce qu’il pense.
Il y a quelques jours, l’Italie a interdit à Kamel Daoud, autre écrivain algérien et francophone menacé dans son pays, de se rendre à une conférence. L’Occident perd la tête. Les voix libres s’éteignent une à une, sous les coups des islamistes, des régimes autoritaires, des tyrannies molles ou du wokisme occidental qui préfère juger l’idéologie plutôt que défendre la liberté.
Sansal est un dissident, un homme debout, un Soljenitsyne algérien. Et ceux qui, comme Benjamin Stora, se sont tant engagés pour la mémoire des persécutés ne peuvent se taire quand l’un des leurs est embastillé.
L’heure n’est plus aux débats byzantins sur la justesse de tel propos, ou sur la sensibilité blessée d’un peuple. L’heure est à l’action. Et si Benjamin Stora ne veut pas être complice par passivité, il doit agir. Ou partir.
Michel Taube