Edito
14H10 - mercredi 4 juin 2025

Aya Nakamura, cible de la haine raciste : un procès révélateur d’un malaise national. Tribune de Salwa Lakrafi et Virginie Guillaumet

 

Aya Nakamura, cible de la haine raciste : un procès révélateur d’un malaise national. Tribune de Salwa Lakrafi et Virginie GuillaumetCe mercredi 4 juin 2025, s’ouvre devant le tribunal correctionnel de Paris un procès attendu : treize personnes, âgées de 20 à 31 ans, comparaissent pour injures racistes et provocation publique à la haine. Au cœur de cette affaire, la chanteuse Aya Nakamura, artiste franco-malienne et figure emblématique de la scène musicale française.

 

Une banderole, un symbole de rejet raciste et sexiste

En mars 2024, à quelques mois des Jeux Olympiques de Paris, ces militants d’extrême droite, proches de collectifs identitaires tels que Génération Identitaire (dissous) et son émanation « Les Natifs », déploient une banderole sur les quais de Seine :

« Y’a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako »

Ce message, pastiche raciste de son titre « Djadja », n’a rien d’anodin. Il incarne une vision xénophobe d’une France fantasmée, blanche et homogène, qui refuse de reconnaître l’apport des cultures populaires issues de l’immigration.

Mais cette attaque ne s’arrête pas à la couleur de peau ou aux origines. Aya Nakamura a également été visée en tant que femme noire. Sur les réseaux sociaux, de nombreux commentaires ont moqué ou dénigré son apparence, sa féminité, son style. L’argument récurrent ? Qu’elle incarnerait une forme de “vulgarité” supposée, opposée à une “élégance française” idéalisée — entendue ici comme blanche, discrète, conforme à des normes excluantes. Un fantasme réactionnaire de plus.

 

De la haine en ligne à la scène judiciaire

Relayée par les réseaux sociaux des Natifs et du média d’extrême droite Livre Noir (rebaptisé Frontières), cette action s’inscrivait dans une campagne raciste et sexiste plus large. Elle est rapidement dénoncée par des associations telles que la LICRA et SOS Racisme. Une enquête est ouverte par l’Office central de lutte contre les crimes de haine (OCLCH), et Aya Nakamura porte plainte le 20 mars 2024.

Parmi les prévenus Antoine G., juriste et porte-parole des Natifs, Édouard M., cadre financier, présenté comme le chef du groupuscule, Capucine C., collaboratrice parlementaire de députés du Rassemblement national, et une jeune femme liée à Marc de Cacqueray-Valménier, figure néonazie bien connue.

Tous comparaissent pour avoir participé à une action coordonnée relevant d’un appel public à la haine. Certains invoqueront sans doute la liberté d’expression. Mais la justice devra trancher : s’agit-il d’une opinion politique ? Ou d’un délit clairement raciste et misogyne ?

 

Aya Nakamura répond : une voix qui dérange ?

Face à cette campagne, Aya Nakamura n’est pas restée silencieuse. Sur ses réseaux sociaux, elle répond avec force et lucidité :

« Vous pouvez être raciste mais pas sourd… Et c’est ça qui vous fait mal ! Car je deviens un sujet d’État numéro 1. Mais je vous dois quoi en vrai ? Kedal. »

Un message qui en dit long. L’artiste assume sa place, son succès, sa voix — et rappelle que l’hostilité qu’elle subit n’est pas liée à un débat artistique, mais à un rejet identitaire profond.

 

Un miroir pour notre société

Ce procès dépasse le seul cadre juridique. Il interroge notre rapport à l’identité nationale, à la représentation, à l’art populaire. Que signifie être une artiste noire, femme, d’origine malienne, dans une République qui se targue d’universalisme mais peine à reconnaître l’égalité dans les faits ? Comment accepter que celle qui a représenté la France aux Jeux Olympiques fasse l’objet d’un tel rejet ?

L’affaire Aya Nakamura met à nu les fractures françaises. Elle révèle un racisme et un sexisme décomplexés, de plus en plus assumés. Elle rappelle aussi l’urgence de protéger nos artistes, nos citoyennes et citoyens afro-descendants ou issus de l’immigration, contre des discours de haine banalisés.

 

Le devoir de vigilance

Il ne s’agit pas seulement d’un procès parmi d’autres. C’est un signal. Celui d’une société qui doit choisir : tolérer la haine comme opinion ou la combattre comme délit. Ce choix nous engage toutes et tous.

 

Salwa Lakrafi, professeure de chant dans les musiques actuelles amplifiées, collaboratrice parlementaire en communication au Sénat, fondatrice de l’Institut Clémenceau.

Virginie Guillaumet, fondatrice de l’association Cultures Jazz, professeure de formation musicale et d’instrument jazz au Conservatoire.