Le 27 mai, les quais de Nouméa ont vu accoster deux silhouettes rarement réunies : Marine Le Pen, ex-présidente du Rassemblement national, et François-Xavier Bellamy, vice-président des Républicains. Séparément, chacun a entamé un périple de quatre jours à travers la Nouvelle-Calédonie pour jauger l’état économique, social et politique de ce territoire encore marqué par les violences de 2024.
Dès mercredi matin, Marine Le Pen s’est rendue dans les salons feutrés de la résidence du haut-commissaire Jacques Billant où elle a déposé une gerbe à la Croix de Lorraine, geste chargé de symboles. Sous le regard des députés européens André Rougé et Christophe Bay, et de Louis Aliot, vice-président du RN, elle a opposé le cérémonial républicain à la brutalité des récents mois, affirmant vouloir « renouer le dialogue institutionnel » au sein des provinces et du Congrès. Sonia Backès, présidente de la province Sud, Sonia Lagarde, maire de Nouméa, et Veylma Falaeo, vice-présidente du Congrès, ont tour à tour exposé à l’ancienne élue d’extrême droite les fractures identitaires et les tensions économiques qui minent l’archipel.
À quelques rues de là, Bellamy se consacrait à la relance du secteur minier. Il a écouté, attablé à la CCI, les chefs d’entreprise encore traumatisés par l’arrêt brutal des exportations de nickel. Plus tard, il s’est rendu au syndicat des industries de la mine, où la présidente du Congrès l’a sensibilisé aux nouveaux défis de la répartition des ressources entre loyalistes et indépendantistes. Sa journée s’est achevée à l’hippodrome Henry-Milliard, devant une salle conquise par son discours appelant à la « responsabilité partagée » pour éviter un nouveau cycle de heurts.
Ce jeudi, Marine Le Pen inversera son itinéraire pour rencontrer Alcide Ponga, président du gouvernement, puis les représentants du Sénat coutumier et du FLNKS. Une halte est prévue dès l’aube à l’usine de Doniambo, cœur industriel du nickel, où elle scrutera l’organisation de la main-d’œuvre kanak et non-kanak, sujet brûlant depuis les émeutes. Dans l’après-midi, elle recevra une cinquantaine de dirigeants de PME-PMI locales, dont certains peinent à recruter faute de logements abordables.
Pendant ce temps, Bellamy déjeunera avec une vingtaine de maires disséminés de Lifou à Bourail, avant de retourner rencontrer Jacques Billant pour évoquer la sécurité renforcée des transports inter-îles. Jeudi soir, il investira le plateau du journal télévisé local pour camper sa vision d’une Calédonie « réconciliée, mais vigilante ».
Vendredi, tous deux convergeront vers Mont-Dore, bastion résidentiel et fief de l’Association citoyenne mondorienne, qui a convié Marine Le Pen à débattre devant les habitants. Elle y croisera Calédonie Ensemble, parti centriste oscillant entre autonomie et lien avec Paris. De son côté, Bellamy s’entretiendra avec Elizabeth Rivière, nouvelle maire modérée, avant d’affronter lui aussi une assemblée populaire.
Au-delà des photos de groupes et des poignées de mains, l’enjeu de cette tournée est clair : sonder un électorat ultramarin divisé entre appétits d’indépendance et désir de stabilité, entre promesses parisiennes et réalités d’un territoire isolé. À l’ombre des cocotiers et des vestiges coloniaux, Le Pen et Bellamy chercheront chacun à prouver que leur vision de la France peut s’appliquer au « Caillou », où l’équilibre demeure aussi fragile que l’horizon sur le lagon.
Michel Taube et Patrice Clech