Edito
08H02 - vendredi 30 mai 2025

Ahmed Lakrafi : le droit de manifester, entre liberté fondamentale et défi pour l’ordre public.

 

Ahmed Lakrafi : le droit de manifester, entre liberté fondamentale et défi pour l'ordre public.Le mois de mai 2025 a été marqué par une série de manifestations à travers la France, illustrant les tensions croissantes autour du droit de manifester. Notamment à Paris, des chauffeurs de taxis ont manifestés leur désaccord avec la réforme prévue dans le secteur des transports de personnes qui a malheureusement menés à des blocages et des opérations escargot. De même, la manifestation du 1er mai, d’ampleur nationale, très souvent menée par les syndicats des travailleurs, a malheureusement elle aussi été éclipsée par des heurts, particulièrement à Paris.

Ces événements soulignent une fois de plus les défis auxquels est confronté le droit de manifester en France. Ce défi consiste à garantir l’expression de cette liberté tout en étant responsable du maintien de l’ordre public.

 

Le droit de manifester : une liberté fondamentale

La manifestation, dans le cadre juridique français, se définit comme un rassemblement de personnes, que ce soit statique ou en mouvement, sur la voie publique, afin d’exprimer une opinion collective. Un droit qui, bien qu’essentiel à la démocratie, n’a jamais été formellement consacré par une loi spécifique. Si la liberté de réunion, elle, est explicitement garantie par la loi du 30 juin 1881, la liberté de manifester n’est, elle, qu’indirectement protégée, notamment par l’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Ce texte dispose qu’aucune personne ne doit être inquiétée pour ses opinions, à condition qu’elles ne troublent pas l’ordre public.

Pourtant, les manifestations ont toujours été considérées comme un moyen fondamental d’expression politique, et plusieurs décisions de la jurisprudence ont reconnu que cette liberté de manifester relève d’un droit constitutionnel. Ce droit est également reconnu et protégé par la Convention européenne des droits de l’homme et par des textes nationaux comme le Code pénal, qui punit l’entrave à ce droit.

 

Un droit encadré

L’une des conditions pour manifester en France est la déclaration préalable. Les organisateurs doivent prévenir les autorités, en mairie ou en préfecture, au moins trois jours avant la manifestation, et indiquer précisément le but de l’événement, les horaires, le lieu, et l’itinéraire, le cas échéant. Cette obligation vise à assurer la sécurité et à prévenir les troubles à l’ordre public. Mais qu’en est-il lorsque cette déclaration n’est pas faite ou si une menace réelle de troubles graves existe ? Dans ce cas, l’État peut mettre les moyen nécessaire pour mettre un terme à la manifestation.

La question de l’interdiction des manifestations a fait l’objet de nombreuses décisions judiciaires. Si pendant longtemps, les autorités se contentaient de vérifier qu’il y avait une menace réelle pour l’ordre public, aujourd’hui, la jurisprudence impose un contrôle de proportionnalité. Autrement dit, l’administration doit prouver qu’il n’existe pas d’autres moyens moins restrictifs pour garantir l’ordre public avant de prendre une décision d’interdiction. Le juge administratif a ainsi clarifié sa position : toute décision d’interdiction doit être précédée d’une phase de consultation avec les organisateurs, qui doivent pouvoir présenter leurs observations.

 

Les manifestations, une liberté toujours sous surveillance

La question des manifestations a pris une ampleur particulière dans le cadre des récentes protestations sociales. La question est simple mais complexe : jusqu’où peut-on restreindre ce droit de manifester, sans pour autant porter atteinte à une liberté essentielle dans une démocratie ?

Aujourd’hui, on observe une véritable tension entre les impératifs de sécurité, parfois mis en avant pour justifier des interdictions, et la nécessité de garantir la liberté de manifester. Si la sécurité est fondamentalement liée à notre pacte social, elle ne doit pas se faire au détriment des libertés publiques. Face aux dérives de certaines manifestations, il est légitime de prendre des mesures, mais ces mesures doivent, selon la jurisprudence, être proportionnées et respectueuses des droits des citoyens. Il est impératif de trouver un équilibre, car les manifestations sont un vecteur essentiel de la démocratie, une manière pour le peuple de faire entendre ses voix.

 

Ahmed LAKRAFI, juriste publiciste