Opinion Outre-Mer
10H09 - jeudi 29 mai 2025

Antilles : un univers carcéral à bout de souffle ? L’édito de Michel Taube et Patrice Clech

 
Antilles : un univers carcéral à bout de souffle ? L'édito de Michel Taube et Patrice Clech

© CGLPL, Maison d’arrêt de Basse-Terre

En matière de sécurité, il ya les discours, il y a les actes !

Deux îles, deux urgences pénitentiaires. En Martinique, la maison d’arrêt de Ducos croule sous 1 100 détenus pour 738 places, et, faute de lits, une bonne soixantaine dort à même le sol. À près de deux cent kilomètres, à Basse-Terre (Guadeloupe), des agents pénitentiaires ont stoppé net l’activité le 26 mai, déclenchant un débrayage pour dénoncer retards de chantier et un sous-effectif de la future prison.

Le constat est alarmant : à Ducos, le taux d’occupation frôle 150 %–170 % selon les mois. Depuis deux ans, on annonce la SAS (Structure d’Accompagnement vers la Sortie) de 120 places, promise pour octobre 2025. Mais le seul horizon concret reste le plancher de matelas jonchant les cellules. L’Ufap-Unsa-Justice y dénonce un climat explosif : 40 % des détenus souffriraient de troubles du comportement, 70 % suivent un traitement médical, et plus d’une centaine de narcotrafiquants cohabitent avec le reste de la population carcérale, sous la vigilance de la JIRS de Fort-de-France.

Pendant ce temps, la réponse gouvernementale par l’annonce d’une prison à haute sécurité en Guyane est bien loin de calmer les esprits créoles. Car pour les syndicats et les détenus, ce parachèvement lointain ne répond en rien à la situation actuelle. L’injustice est criante : on promet des places… à 3 000 km de là, pendant que les murs se fissurent et que la surpopulation mine la dignité humaine.

En Guadeloupe, la sonnette d’alarme a retenti en amont : la nouvelle maison d’arrêt de Basse-Terre est censée ouvrir ses portes le 7 septembre prochain. Mais les autorités ont repoussé la date, sans calendrier de repli. Pire : le nombre de surveillants est passé de 106 à 96, alors que les syndicats estiment qu’il en faudrait au moins une douzaine de plus pour assurer un minimum de sécurité. Sur le chantier, ils pointent du doigt des ouvertures de chantier non sécurisées, où il est “trop facile d’entrer et sortir”, et réclament des garanties avant toute mise en service.

Le 26 mai, FO, UFAP et CGTG ont interrompu le trafic intérieur de l’établissement dès 7 h, affichant banderoles et préavis de grève. Ils réclament non seulement la remise à flot des effectifs, mais également le départ du directeur de la prison de Basse-Terre, accusé de laisser pourrir le dossier. L’intersyndicale met en garde : sans engagement clair de la direction parisienne, le débrayage pourrait durer et s’étendre, accentuant la crise déjà palpable dans les quartiers pénitentiaires voisins.

En filigrane, la question sociale et humaine se pose avec acuité : comment garantir la réinsertion ou même la simple survie des détenus quand l’environnement carcéral est délétère ? Et comment motiver des fonctionnaires épuisés par l’insécurité et l’absence de perspectives ?

À l’orée de la livraison de nouveaux bâtiments, l’outre-mer semble figé dans une double impasse : promettre des places demain, tout en laissant craquer celles d’aujourd’hui. Jusqu’à ce que les failles structurelles soient réellement comblées, la justice outremarine restera en sursis, à la merci d’un prochain déploiement de matelas et d’une colère policière plus virulente encore.

 

Michel Taube et Patrice Clech

Directeur de la publication

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