Opinion Outre-Mer
10H16 - samedi 10 mai 2025

Transaglo à l’arrêt : jusqu’où ira le bras de fer ?

 

Comment les pouvoirs publics peuvent-ils laisser si longtemps les transports publics en grève ? A Fort-de-FRance, au Lamentin et à Saint-Joseph ou encore le Lamentin- 34 des 38 chauffeurs de bus sont en grève, mettant les Martiniquais les plus modestes en grande difficulté.

Depuis plusieurs semaines, le centre de la Martinique vit au ralenti: les neuf lignes de Transaglo sont à l’arrêt, leurs dépôts bloqués, et les navettes maritimes aux abonnés absents. Conséquence: des milliers d’usagers – travailleurs, familles, étudiants – se heurtent chaque jour à un mur de silence et de retards. Le conflit a pris racine le 11avril, lorsque 34 des 38 chauffeurs ont déclenché une grève massive pour réclamer un treizième mois de salaire et une prime revalorisée. Face à des revendications jugées hors-cadre, la direction, dirigée par EmmanuelPhares, a consenti à augmenter les salaires de 100€ nets par mois et à porter la prime annuelle de 1600€ à 1800€. Mais la promesse d’un treizième mois a été recalée: selon l’accord collectif signé en 2023 entre six entreprises, les syndicats et Martinique Transport, toute modification exige l’accord unanime de tous les signataires, un verrou juridique que la Deets confirme.

Mardi, le syndicat CGTM a durci le ton avec une opération molokoy sur l’autoroute Lamentin–Fort-de-France (ZayActu). Des cortèges de véhicules roulant au pas ont provoqué des embouteillages monstres, étranglant le trafic et cristallisant l’exaspération des automobilistes. «Objectif: forcer la direction à lâcher du lest», résume un délégué CGTM. Bilan: l’économie locale suffoque, le tourisme flanche, et la population grogne.

Mercredi, un nouveau rendez-vous s’est tenu au siège de la Deets. La CGTM a déposé un courrier proposant un accord temporaire, incluant une prime exceptionnelle et l’ouverture de négociations sur le treizième mois, sans toucher à l’accord de 2023. (France-Antilles). ChristopheRosamond, délégué syndical, se montre prudent: «Si nous trouvons un terrain d’entente d’ici la fin de semaine, les bus pourraient circuler la semaine prochaine.» Mais côté patronal, on reste campé sur l’offre actuelle, conditionnant toute discussion ultérieure sur le treizième mois à l’attribution du marché public de septembre2025.

EmmanuelPhares met en garde: «Fo pa kasé chodyè ka fè manjé»– ne brisez pas la marmite qui fait vivre des familles. Sans recettes, pas de salaires, pas de bus. Traduction: un accord financier minimal est indispensable pour garantir la continuité du service. Pendant ce temps, les usagers, pris en otage, voient leur quotidien se déliter: rendez-vous médicaux manqués, chantiers retardés, scolarité perturbée.

L’enjeu dépasse le simple conflit salarial: il touche à l’équilibre économique et social de tout un territoire. Si Transaglo plie, c’est son modèle financier qui vacille; si les chauffeurs cèdent, c’est le pouvoir d’achat d’une profession déjà fragilisée qui recule; et si les usagers continuent de payer l’addition, c’est la confiance dans le service public qui s’effrite.

La balle est désormais dans le camp de la direction: fera-t-elle un geste pour débloquer la situation, au risque de fragiliser ses comptes? Ou tiendra-t-elle bon, au péril d’une colère sociale qui ne demande qu’à s’amplifier? Dans ce bras de fer où chaque camp joue sa survie, l’issue reste imprévisible – mais l’urgence, elle, est palpable.

 

Patrice Clech

Rédacteur en chef Opinion Internationale