Deux-cents ans après l’ordonnance de Charles X qui imposa à Haïti le paiement d’une insolite dette de 150 millions de franc-or en échange de la reconnaissance de son indépendance, une commission franco-haïtienne a été annoncée par le Président Emmanuel Macron. Sa mission est d’examiner « le passé commun des deux pays pour proposer aux deux gouvernements des recommandations afin d’en tirer les enseignements et construire un avenir plus apaisé ».
Reconnaissant que « la force injuste de l’Histoire » avait frappé Haïti dès sa naissance, le Président Emmanuel Macron a déclaré que la France devait « assumer sa part de vérité dans la construction de la mémoire, douloureuse pour Haïti, qui s’est initiée en 1825 ». C’est un premier pas historique à saluer car il était temps que le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme regarde en face l’immoralité de cette tranche d’histoire douloureuse. En effet, Haïti est le premier et le seul pays dont plusieurs générations de descendants d’esclaves furent forcées de verser des réparations financières aux héritiers de leurs anciens bourreaux.
De fait, le 1er janvier 1804, proclamant son indépendance, Haïti devenait la première république noire indépendante du monde, issue de la révolte victorieuse d’esclaves. Symbole de la liberté universelle, elle restait tout de même une anomalie pour l’ordre mondial dominé à l’époque par le système colonialiste esclavagiste.
C’est à ce titre qu’entre 1804 et 1825, Haïti fut menacée en permanence du retour de l’armée française si la jeune nation n’acceptait pas d’indemniser les anciens colons chassés de Saint-Domingue. Le président haïtien Jean-Pierre Boyer capitula et accepta de payer à la France la somme de 150 millions de franc-or contre la reconnaissance de la souveraineté haïtienne.
Pour bien comprendre l’énormité de cette indemnité, il suffit de la comparer au montant pour lequel Napoléon avait vendu la colonie française de Louisiane quelques années auparavant. Par un traité signé le 30 avril 1803, la France cédait aux Etats-Unis pour quatre-vingt millions de francs sa colonie de Louisiane, grenier du pays appelé aujourd’hui Midwest, qui inclut un vaste territoire correspondant à environ 22 % de la superficie actuelle des États-Unis (comprenant l’Arkansas, le Missouri, Iowa, Oklahoma, Kansas, Nebraska et autres).
De toute évidence, le fardeau imposé à Haïti a plombé le développement de la jeune nation, tant le service de cette dette pesait lourd sur le trésor public. Pour s’en acquitter, les caisses étant vides, Haïti dut s’endetter une deuxième fois à des taux élevés, exclusivement auprès de banques françaises. Depuis, la France a peiné à reconnaître que cette « double dette » a durablement hypothéqué l’avenir d’Haïti. Deux anciens présidents français, avaient timidement admis sur le sol d’Haïti l’iniquité de la double dette. En 2010, le président Nicolas Sarkozy déclarait à Port-au-Prince « Notre présence ici n’a pas laissé que de bons souvenirs… Même si je n’ai pas commencé mon mandat au moment de Charles X, j’en suis quand même responsable au nom de la France ». En 2015, le président François Hollande débarquait à son tour dans la capitale haïtienne et admettait que la France avait « une dette morale » envers Haïti.
En 2025, le président de la Fondation pour la mémoire de l’esclavage (FME), l’ancien Premier ministre français Jean-Marc Ayrault, est allé plus loin en déclarant sans ambages que le règlement de cette « double dette » avait entraîné Haïti « dans une spirale de dépendance néocoloniale dont le pays ne parviendra jamais à s’extraire ». En réalité, l’argent payé à la France aurait pu servir à financer la construction de routes, d’écoles, de ponts, de villes, à payer les salaires des cadres de l’état, des professeurs d’école.
Ce 17 avril 2025, le Président Emmanuel Macron a mis sur la place publique un sujet tabou jusqu’ici réservé aux chercheurs et aux initiés. Je vois dans le choix d’une co-présidence de cette commission confiée à Yves Saint-Geours et Gusti-Klara Gaillard Pourchet la volonté d’un travail équilibré et libre. Mais le devoir de vigilance n’en est que plus important notamment pour s’assurer que la commission inspire confiance dans sa composition et soit capable de jeter un éclairage scientifique non partisan. Pour ma part, j’estime que les travaux de recherche sur la question ont déjà démontré (et même chiffré) l’impact de cette double dette (que certains qualifient de rançon) sur le développement d’Haïti.
Je plaide pour que cette commission mixte soit mise en place très vite, afin que ses travaux aboutissent avant la fin du mandat du Président Emmanuel Macron, et qu’elle s’inspire du travail d’indemnisation réalisé notamment par la Hollande et la Belgique. Des idées foisonnent déjà des deux côtés de l’Atlantique. Sur la forme, la création d’un fonds est l’outil qui me semble le plus pertinent, et qui l’emporte majoritairement. Il pourrait notamment servir à la constitution à long terme d’une force de police et d’une armée moderne et équipée, en mesure de maintenir la sécurité du pays en combattant efficacement les gangs qui terrorisent la population.
A celles et ceux qui pensent que la France, eu égard à ses anciennes colonies, ouvrirait une boîte de Pandore en acceptant le principe de compenser Haïti, je rappelle que le cas d’Haïti est unique en ce sens qu’elle est la seule ancienne colonie française ayant elle-même versé des indemnités aux anciens colons propriétaires d’esclaves. Il n’y a donc aucun risque pour la France de devoir faire face à une kyrielle d’autres demandes de réparations de ce type-là.
Surtout, la réflexion s’ouvre à un moment tragique ou Haïti fait face à une situation d’urgence vitale qui vient alourdir les besoins structurels. Certes nous attendons des propositions concrètes de cette commission, mais il appartient à nous autres Haïtiens non seulement de les nourrir, mais d’engager parallèlement et en toute souveraineté la refondation institutionnelle, sécuritaire et économique de notre pays. J’y prendrai, bien entendu, toute ma part et le parti En Avant sera au rendez-vous de l’histoire en veillant à ce que le processus engagé ce 17 avril 2025 par le Président Emmanuel Macron soit respectueux de la vérité historique et conforme aux attentes du peuple haïtien.