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Alors que la guerre en Ukraine entre dans sa troisième année et que la paix semble se jouer plus se jouer à Washington qu’à Kiev, Moscou ou Bruxelles, des indiscrétions des couloirs de la négociation entre Washington et Moscou mettent en lumière les coulisses diplomatiques. Dans le secret des échanges diplomatiques, loin des discours mis en scène sous les caméras du Bureau Ovale, les négociateurs sont à l’œuvre pour mettre en mouvement une tentative complexe de concilier des intérêts antagonistes. Trois axes majeurs émergent : le contrôle des armements nucléaires, des concessions territoriales liées à la Transnistrie et à Kaliningrad, et des restrictions sur les exportations d’armes conventionnelles russes.
Le nucléaire, épine dorsale des négociations
Les fuites confirment que le désarmement nucléaire occupe une place centrale. Les États-Unis exigeraient le retrait des armes nucléaires russes déployées dans l’oblast de Kaliningrad, enclave stratégique située entre la Pologne et la Lituanie. Ce territoire, militarisé à outrance, abrite des missiles Iskander, capables de transporter des charges nucléaires et de menacer l’Europe en quelques minutes. Pour Washington, neutraliser cette menace est un impératif.
Cette demande s’inscrit dans un contexte plus large de fragilisation des traités de contrôle des armements. Le New START, dernier accord russo-américain en la matière, est au point mort depuis 2022. Les négociations actuelles pourraient tenter de relancer un cadre multilatéral, mais Moscou exige des garanties : en échange d’un retrait de Kaliningrad, les États-Unis devraient probablement limiter leurs propres arsenaux en Europe de l’Est. Une équation délicate, tant la méfiance est profonde.
La seconde condition américaine est un retrait russe de Moldavie, ciblant la Transnistrie, région séparatiste pro-russe où stationnent au-moins 1 500 soldats russes. Cette exigence vise à affaiblir l’emprise de Moscou sur son « étranger proche », tout en sécurisant un voisin de l’Ukraine.
En contrepartie, les États-Unis accepteraient de graver dans le marbre le statut non- aligné de l’Ukraine, renonçant à son intégration dans l’OTAN. Une concession symbolique, puisque l’adhésion ukrainienne était déjà improbable avant la guerre. Mais pour le Kremlin, c’est une victoire narrative : Poutine pourrait présenter ce gel comme la fin de « l’expansionnisme » occidental, objectif affiché depuis 2008.
Cependant, ce troc territorial reste fragile. La Transnistrie n’est pas prioritaire pour Moscou comparée au Donbass ou à la Crimée. Quant à Kaliningrad, sa démilitarisation signifierait renoncer à un poste avancé crucial face à l’OTAN. La Russie accepterait-elle de sacrifier deux pions stratégiques pour une promesse verbale sur l’Ukraine ? Rien n’est moins sûr.
Armes conventionnelles : un enjeu économique et diplomatique
Le troisième volet des négociations concerne les limitations de production d’armes conventionnelles russes. Une mesure présentée comme un gage de désescalade, mais qui impacterait directement l’économie russe. Le secteur de l’armement représente 2 à 3 % du PIB national et emploie des millions de personnes. Surtout, la Russie est le deuxième exportateur mondial d’armes, avec des clients clés comme l’Inde, l’Algérie ou l’Égypte.
Si Moscou ne peut honorer ses contrats – certains signés pour des milliards de dollars –, cela pourrait redistribuer les cartes du marché global. Les États-Unis et la France, concurrents directs, en tireraient profit. Mais cette clause risque aussi de pousser les pays du Sud à diversifier leurs fournisseurs, accélérant l’émergence de nouveaux acteurs (Turquie, Chine).
Pour le Kremlin, c’est un dilemme : limiter sa production affaiblirait sa capacité à reconstituer ses stocks épuisés par la guerre, tout en sapant son influence internationale. Une perspective peu compatible avec la rhétorique de puissance que cultive Poutine.
Ces discussions diplomatiques, si elles reflètent une partie de la réalité, illustrent surtout les contradictions inhérentes à toute négociation en temps de guerre. D’un côté, les États-Unis cherchent à contenir la Russie sans prolonger indéfiniment le conflit. De l’autre, Moscou veut préserver ses gains tout en évitant l’effondrement économique. Restera, si un accord est effectivement acté, à pouvoir contrôler le retrait des armes nucléaires de Kaliningrad ou la démilitarisation de la Transnistrie, ce qui exigerait des mécanismes intrusifs, que la Russie a toujours refusés. Cette dernière pourrait également ne pas accorder une confiance aveugle à un accord oral sur l’OTAN, qui serait non-contraignant et qui pourrait être remis en cause par un changement d’administration américaine. Le balancier de l’élection de Trump marche dans les deux sens… L’Ukraine reste en tout cas la grande absente de ces tractations, ce qui pourra finir par poser un problème politique majeur : quel leader ukrainien acceptera un accord entérinant l’occupation de territoires ? Le jeu d’échec géopolitique, et les marchandages inhérents, ne remettront pas en cause une donnée centrale : l’Ukraine va rester un Etat souverain. Avec des dirigeants locaux qui, en apparence du moins, valideront une carte de leur frontière qui se décidera peut-être sans eux mais qui portera leur signature.