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07H46 - mercredi 12 mars 2025

Gulbakhor Ismailova : victime invisible des sanctions européennes. L’édito de Michel Taube

 

Au nom de cette liberté à laquelle ont droit tous les peuples souverains, au nom de l’État de droit, nous considérons la politique des sanctions économiques globales et individuelles contre la Russie et le gel des avoirs de centaines de Russes et ressortissants d’autres pays, comme devenus inefficaces et parfois injustes.

Inefficaces, on le sait. Les sanctions individuelles adoptées par l’UE depuis 2022 visaient à affaiblir l’économie russe en neutralisant ceux qui la font tourner. Or, trois ans après l’invasion de l’Ukraine, le PIB russe est en croissance, Moscou a redirigé son commerce vers l’Asie, et les revenus énergétiques n’ont jamais été aussi élevés. Pire encore, la pression occidentale a poussé la Russie à renforcer son autonomie industrielle et financière. Autrement dit, les sanctions ont échoué dans leur objectif initial. Dans le cadre d’un accord global de cessez-le-feu et d’organisation d’une paix durable, la rediscussion sur les sanctions devra être mise dans la balance en échange de la consolidation de la souveraineté de l’Ukraine.

Mais ces sanctions sont aussi injustes pour une raison trop souvent ignorée : des personnalités qui n’ont rien à voir, ni de près ni de loin, avec ce conflit et ses acteurs, ont été sanctionnées injustement en mars 2022. Ces victimes collatérales d’une machine bruxelloise trop souvent kafkaïenne, l’UE doit les entendre et a l’opportunité de les retirer de cette liste noire mi-mars, date du réexamen de sa composition.

À cet effet, le sort de Gulbakhor Ismailova mérite ici d’être souligné, en ceci qu’il est emblématique et constitue la démonstration chimiquement pure du caractère parfois aveugle, pour ne pas dire gratuit, des sanctions.

 

Une vie brisée par un engrenage bureaucratique

Le 28 février 2022, le Conseil de l’UE a imposé des sanctions à l’encontre de M. Alicher Ousmanov, homme d’affaires ouzbek. Le 8 avril 2022, il a également imposé des sanctions à l’encontre de ses sœurs, Gulbakhor Ismailova et Saodat Narzieva.

Madame Gulbakhor Ismailova aurait pu mener une existence paisible, loin des tumultes de la politique internationale. Âgée de 65 ans, gynécologue à la retraite, elle passait ses journées auprès de ses petits-enfants dans la capitale ouzbèke, Tachkent, où elle pratiquait la cuisine traditionnelle, regardait des documentaires animaliers et trouvait son bonheur dans la simplicité du quotidien. Jusqu’au jour où l’Union européenne l’a désignée comme cible d’une guerre qui la dépasse et ne la concerne pas. Son crime ? Être la sœur d’un homme d’affaires, Alicher Ousmanov. Depuis, elle ne peut plus voyager, a vu ses actifs gelés et se retrouve prisonnière d’un jeu géopolitique auquel elle n’a jamais pris part. À Tachkent, elle est réduite à une vie d’attente et d’angoisse, coupée du reste du monde et de ses aspirations personnelles, privée du droit fondamental de disposer de son existence.

Les sanctions contre Gulbakhor Ismailova n’ont rien à voir avec un quelconque rôle qu’elle aurait joué dans le conflit russo-ukrainien : elle n’a jamais eu de responsabilités politiques, ne possède aucun empire financier et ne s’est jamais mêlée aux affaires de son frère. Comment d’ailleurs une gynécologue ouzbèke pourrait-elle se piquer d’une quelconque influence sur le Kremlin ?

Son seul tort est d’avoir été désignée bénéficiaire de fiducies familiales mises en place bien avant le début de la guerre, en 2007 puis 2016. Consciente de la situation, elle a pourtant renoncé à ces droits de manière définitive et irrévocable. Dans le journal italien le Corriere della Sera, elle confie : « Cela n’a pas de sens que que je sois  sanctionnée à cause de mon frère Alicher Ousmanov : il ne m’a pas utilisée pour cacher ses actifs ».

Les preuves en ont été apportées au Conseil de l’Union européenne par ses avocats. La justification officielle selon laquelle elle aurait servi de paravent financier pour son frère n’a donc plus aucun fondement.

Mais cela n’a rien changé… Pour le moment.

 

L’Europe se trompe de cible

L’UE doit cesser de la traiter comme une complice et de maintenir sur elle une pression injuste qui n’a d’autre effet que de ruiner sa vie.

D’ailleurs, les sanctions visant la sœur de Madame Ismailova ont été levées : en septembre 2022, le Conseil de l’UE a reconnu que sa décision la concernant était fondée sur de fausses rumeurs provenant de sources non fiables, dont près de 90 % étaient des publications médiatiques ! Il a donc retiré Mme Narzieva de la liste des sanctions.

Il en est de même pour Gulbakhor Ismailova qui est une victime collatérale d’une guerre qui la dépasse. Pendant que les grandes fortunes réorganisent leurs actifs, exploitant les failles du système, cette gynécologue émérite se retrouve piégée sans solution. Ses biens sont gelés, elle ne peut plus se rendre en Europe, même pour voir des proches, et sa situation ne semble intéresser personne. Une femme sans pouvoir, sans influence, réduite à l’état d’otage d’un mécanisme dont elle ne maîtrise ni les règles ni les objectifs. L’UE voulait frapper des hommes d’affaires, elle frappe une retraitée.

Loin d’être un cas isolé, l’histoire de Gulbakhor Ismailova illustre les limites et les dérives d’un système de sanctions qui, par son automatisme, en vient à frapper sans discernement des innocents.

État de droit disions-nous ?

 

Michel Taube

Directeur de la publication

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