Les fissures qui lézardaient l’édifice de la gauche française sont désormais des crevasses béantes. De la mairie de Villeneuve-Saint-Georges au vote du budget 2025, le Parti socialiste et La France Insoumise ont abandonné les faux-semblants de l’unité pour croiser le fer. Les fractures idéologiques qui les opposent depuis plus d’un siècle refont surface, et la guerre des gauches, longtemps contenue par la nécessité de faire bloc face à la droite et à l’extrême droite, s’apprêtent à exploser à nouveau au grand jour.
L’adoption des budgets 2025 de l’Etat et de la Sécurité sociale est autant une victoire pour François Bayrou que pour le Parti Socialiste : les 66 députés PS se sont posés en arbitre des élégances, volant ainsi la vedette non seulement au Rassemblement national mais également à la France insoumise. Pendant près de trois semaines, le PS était au centre de toutes les attentions politiques et médiatiques, comme ce n’était plus le cas depuis de nombreuses années.
Sur le fond, d’opposants systématiques, les socialistes ont changé de stratégie et ont retrouvé leurs apparats de réformateurs plus que de révolutionnaires. Pour combien de temps ? Le PS de l’ère Olivier Faure va devoir trancher cette année sa ligne politique mais l’on retrouve enfin ces deux gauches irréconciliables. En ne votant pas la censure du gouvernement Bayrou, le PS s’émancipe de la ligne radicale de Mélenchon.
Une lutte sans merci s’annonce à la veille de trois années électorales décisives qui vont conduire les Français des municipales en 2026 aux régionales et départementales en 2028, en passant, évidemment, par la présidentielle en 2027.
Cette guerre des gauches a démarré sur un premier champ de bataille : la défaite de Louis Boyard à Villeneuve-Saint-Georges a été un véritable séisme au sein des gauches. Ce fut bien plus qu’un revers électoral : une leçon politique d’une rare violence pour LFI. Dans cette ville parmi les plus pauvres du Val-de-Marne, la droite l’a emporté face à un Insoumis pourtant en vogue sur les réseaux sociaux et dans les médias et soutenu par Jean-Luc Mélenchon lui-même. Ce camouflet électoral a mis en lumière les faiblesses structurelles de LFI : un ancrage local quasi inexistant et un discours radical qui ne convainc pas au-delà d’un cercle militant acquis à sa cause et des excités des écrans, certes nombreux mais souvent non inscrits sur les listes électorales.
Si cette élection a démontré l’incapacité des Insoumis à transformer leur dynamique nationale en succès municipal, elle offre en revanche un espoir inespéré au Parti Socialiste. Déjà bien implanté dans les territoires depuis des décennies, et ce malgré les débâcles nationales qu’il a pu subir dans son histoire, notamment en 2017, le PS pourrait faire des municipales de 2026 le théâtre de sa renaissance. Les notables socialistes, forts de leur pragmatisme et de leur gestion de proximité, détiennent encore un atout de taille : ils rassurent là où LFI inquiète. Une occasion en or pour reprendre la main et rééquilibrer les forces à gauche.
Ce dilemme rappelle les antagonismes qui déchirent la gauche depuis le Congrès de Tours en 1920. D’un côté, la tradition sociale-démocrate du PS, pragmatique et réformiste, qui préfère influencer le pouvoir plutôt que de l’abattre. De l’autre, LFI, héritière d’une vision radicale, refusant tout compromis au nom de la pureté idéologique. Cette lutte intestine n’est pas qu’un combat de personnes ; elle est le reflet de deux visions irréconciliables du pouvoir et de l’action politique.
En refusant de soutenir la censure et en faisant perdre Louis Boyard à Villeneuve-Saint-Georges, le PS envoie un signal clair : il ne sera pas l’otage de La France insoumise. Et si certains voient dans cette posture une trahison, d’autres y lisent le début d’un retour en force du socialisme républicain face à l’hégémonie mélenchoniste trop wokiste et communautariste. Une chose est sûre : le Nouveau Front Populaire est mort, la guerre des gauches est déclarée.
Michel Taube
L’édito de Michel Taube sur Beur FM