Opinion Outre-Mer
07H41 - samedi 1 février 2025

Vie chère dans les Outre-mer : une proposition de loi socialiste qui va détruire les économies ultra-marines ?

 

De tous les côtés politiques, les entrepreneurs et ceux qui se lèvent tôt en Martinique sont attaqués depuis le début de l’année 2025.

Le 23 janvier dernier, profitant de sa niche parlementaire, le parti socialiste a fait adopter en première lecture par l’Assemblée nationale, une proposition de loi contre la vie chère qui ramènerait la Martinique aux pires années socialistes de notre histoire.

Adoptée par les députés, la proposition de texte législatif, portée notamment par la députée martiniquaise Béatrice Bellay, prétend notamment réguler les prix et réduire les phénomènes de concentration économique. Pourtant, au lieu d’apporter une réponse structurelle et cohérente aux problèmes réels des territoires ultramarins, ce texte s’apparente davantage à une attaque ciblée contre les entreprises locales, à une manœuvre populiste et à des mesures socialistes, au détriment de solutions concertées et efficaces.

 

Un texte en contradiction avec le « protocole vie chère » du 16 octobre

Depuis les tables rondes menées en Martinique entre septembre et décembre 2024, un consensus fragile avait été trouvé autour d’un « protocole vie chère ». Ce protocole actait la nécessité d’un effort partagé entre tous les acteurs : l’État, la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), les transporteurs, les fournisseurs, les logisticiens et les commerçants. L’idée était claire : une baisse des prix durable ne pouvait se faire qu’à travers une approche globale, en agissant sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et de distribution. Et plus largement, l’alignement de tous les prix à ceux de la France hexagonale, si telle devait être la volonté politique, ne pourrait résulter que d’un dispositif de continuité territoriale.

Or, cette proposition de loi prend le contre-pied de cette démarche. Finie l’exigence de contributions multiples, enterrée la continuité territoriale, haro sur le groupe GBH ! Plutôt que de traiter les vraies causes de la vie chère, comme les coûts d’acheminement, la fiscalité locale ou encore la faible compétitivité des entreprises ultramarines, il se focalise sur la grande distribution devenue la cible centrale d’un discours populiste.

 

Des mesures inadaptées aux réalités économiques

Parmi les dispositions annoncées, l’extension tous azimuts du « bouclier qualité prix » pourrait sembler attrayante. Mais en réalité, cette mesure ne résoudra pas le problème structurel de la cherté de la vie en Outre-mer. Elle risque même de l’aggraver. Car on sait bien qu’une régulation excessive des prix dans une économie libérale n’a jamais produit d’effets positifs. Jamais. L’histoire regorge d’exemples : partout où les prix soumis à la concurrence subissent des mesures autoritaires de blocage, l’économie s’affaiblit et les populations s’appauvrissent. Il faut le répéter, même si Béatrice Bellay refuse de l’entendre : c’est avant tout la taille limitée des marchés locaux et l’éloignement des sources d’approvisionnement qui rendent les produits alimentaires plus coûteux. Et seul un dispositif ambitieux de continuité territoriale peut y remédier.

De même, l’instauration d’un seuil de 25% de part de marché maximum par opérateur est une aberration économique. Dans des micro-marchés comme celui de la Martinique, où la population ne dépasse pas 350 000 habitants, limiter artificiellement la taille des entreprises reviendra à fragiliser davantage l’offre locale et à entraver les investissements nécessaires pour assurer un service de qualité. Raisonnons par l’absurde : faudrait-il dans une île comme Saint-Pierre et Miquelon qui ne compte que 6000 habitants, avoir la même exigence d’intensité concurrentielle que dans un marché de 60 millions d’habitants et veiller à ce qu’un hypermarché ne dépasse pas 25% de part de marché ? Ce qui signifierait que cette île minuscule devrait, par la loi, disposer de 4 à 5 hypermarchés ? Absurde, vous dis-je !

 

Un texte fondé sur des prémisses erronées

Le projet socialiste de Béatrice Bellay repose sur des postulats démentis par les faits. L’Autorité de la concurrence a, à plusieurs reprises, invalidé les accusations de monopole et d’abus de position dominante dans la grande distribution ultramarine. Pourtant, ces contre-vérités continuent d’être relayées pour alimenter un discours simpliste et manichéen, opposant les « puissants » à un « peuple opprimé ».

Ce projet de loi s’inscrit dans une dynamique de division, en clivant davantage la population martiniquaise sur des bases socio-ethniques nauséabondes, sous couvert de lutte contre la vie chère. S’agit-il d’une stratégie politique visant à renforcer un certain populisme local et à légitimer des revendications autonomistes, voire séparatistes ? La question est clairement posée.

 

Omettre les vrais facteurs de vie chère

Plutôt que de s’attaquer aux mythes, Béatrice Bellay aurait dû défendre l’aspiration de continuité territoriale issue des tables rondes. À tout le moins, elle aurait dû porter son attention sur les facteurs objectifs de vie chère, trop souvent passés sous silence :

  • La petite taille des marchés ultramarins et les coûts logistiques élevés.

  • La faible compétitivité structurelle des entreprises locales, fragilisées notamment par des délais de paiement excessifs des collectivités.

  • Les lourdeurs administratives qui entravent les entreprises et la lenteur des attributions d’aides, notamment des subventions européennes.

  • Un emploi public territorial hypertrophié en Martinique, supérieur de 65% à celui des collectivités équivalentes, qui pèse forcément sur la fiscalité locale.

  • La mauvaise gestion des services publics essentiels comme les transports en commun, la gestion de l’eau et la collecte des déchets, qui augmentent encore les coûts pour les citoyens.

 

Un texte inabouti et dangereux

Cette proposition de loi, présentée comme une réponse à la vie chère, se révèle en réalité inefficace et contre-productive. Plutôt que de rechercher des solutions concertées et pragmatiques, il recherche des boucs émissaires, alimentant ainsi un clivage nuisible qui affaiblit encore un peu plus le tissu économique ultramarin. Face aux vrais défis que pose la vie chère en Outre-mer, ce texte constitue une occasion manquée. Espérons qu’il ne devienne pas, à terme, un facteur supplémentaire de division et de chaos économique pour nos territoires.

Les oppositions à ce projet commencent à se faire entendre : Johnny Hajjar, ancien député, rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur la vie chère, estime que la récente proposition de loi contre la vie chère est un « mirage qui coûte cher et aggrave les problèmes ».

Cette loi idéologique risque fort de ne pas passer le cap du Sénat, plus vigilant manifestement quant au sérieux économique qu’on est en droit d’attendre des dirigeants politiques. Mais il est temps aussi que le gouvernement clarifie sa position sur un projet à teneur socialiste et populiste dont la Martinique n’a vraiment pas besoin.

 

Michel Taube

Directeur de la publication