Abolir la peine de mort
10H31 - lundi 12 novembre 2012

Entretien avec Maiko Tagusari, leader des abolitionnistes japonais : « Au Japon, l’ignorance est le meilleur soutien de la peine de mort »

 

Maïko Tagusari, vous êtes avocate et l’une des leaders du combat contre la peine de mort au Japon. Vous étiez présente à Paris début octobre pour la Journée mondiale contre la peine de mort. Vous avez assisté au lancement de la campagne pour l’abolition universelle de la peine de mort dans le monde, prise de M. Laurent Fabius et la diplomatie française. En tant que militante anti-peine de mort  au Japon, qu’attendez-vous d’une telle initiative ?

Pour l’instant, cette initiative française au sein de l’ONU n’a pas eu d’impact majeur pour nous au Japon, mais il est bon pour nous de voir que la France et l’Europe (la Norvège a lancé une action similaire) se mobilisent contre la peine de mort au niveau international, car cela entretien une certaine actualité du thème de la peine de mort.  Cette année, nous avons déjà eu 7 exécutions au Japon.

L’opinion publique japonaise tend à faire moins attention à ces condamnations qui deviennent banales, une sorte de travail de routine de la justice à laquelle personne ne s’intéresse. Pour contrer ce phénomène, nous nous devons donc d’exploiter chaque parcelle de couverture médiatique pour tenter de provoquer une discussion publique dans notre pays. Un seul média japonais était présent au quai d’Orsay et il a rendu compte de l’évènement : il s’agissait de la grande chaîne publique NHK, et je ne me serais jamais attendue à être interviewée par un média japonais ici à Paris.

Ce phénomène de la peine de mort au Japon n’est pas très connu en Europe. Aujourd’hui, selon certains sondages, 80% des japonais sont encore favorables à la peine de mort. Sur quoi repose un si large soutien de l’opinion publique ?

Au Japon, l’ignorance est le meilleur soutien de la peine de mort. Les citoyens japonais ne connaissent pas leur système carcéro-judiciaire. Ils font simplement une confiance aveugle à l’administration et au gouvernement, lesquels ne laissent filtrer aucune information.

Nous n’en sommes pas encore pour le moment à atteindre une majorité de citoyens pro-abolition dans les sondages. Nous cherchons simplement à faire entendre la voix des abolitionnistes et cela passe par la reconquête de notre démocratie au Japon. Nous devons faire valoir notre droit à l’information de la part du gouvernement.  Les médias, les experts et les juristes ne remettent pas suffisamment en cause cette culture du secret de l’administration. Quelques chercheurs et journalistes ont essayé ces dernières années d’accéder aux informations sur les exécutions et les condamnations à mort mais c’est très difficile. Les grands médias et le gouvernement entretiennent en effet des relations de connivence bien ancrées. Chaque ministère a ainsi son pool de reporters et de journalistes auquel seuls les médias agréés par l’administration peuvent accéder. Les médias indépendants sont donc laissés à la porte de ces ministères et privés d’information de première main. Ils ne reçoivent qu’une communication très formatée délivrée par le porte-parole du ministère. Combattre les préjugés favorables à l’application de la peine de mort, passe aussi par la promotion de cette liberté des médias.

En 2009 une réforme du système judiciaire a introduit le système des jurys populaires, perçu comme le moyen d’assurer une plus grande participation des citoyens au fonctionnement de la justice.  Cela a-t-il changé quelque chose concernant la manière dont la peine de mort est appliquée ?

Cette mesure a été pour les abolitionnistes japonais à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle. Elle nous a en effet permis d’obtenir un acquittement dans une affaire de condamnation à la peine de mort, ce qui n’aurait jamais pu arriver dans l’ancien système. L’inculpé était accusé de deux crimes. Ses empreintes digitales avaient été trouvées sur les lieux du crime mais il niait les faits. La Cour a trouvé que le prévenu était entré par effraction dans l’appartement mais qu’il n’y avait pas de preuve suffisante de sa culpabilité. C’est à vrai dire très rare dans un procès pour peine de mort. Les jurés ont dans ce cas strictement respecté la prééminence de la preuve sur le doute. L’acquittement n’a néanmoins pas réellement eu lieu, l’accusé étant décédé des suites d’une maladie avant que le cas ne soit porté devant la Cour qui aurait pu officiellement casser le premier verdict.

De manière générale cependant, on observe que les jurys populaires ont tendance à aboutir à des condamnations plus sévères. N’ayant pas d’expérience extensive de crimes comparables, ils ont du mal à évaluer à quel point le crime est grave ou odieux. De plus, les personnes atteintes de troubles mentaux ne voient pas forcément leur maladie prise en compte comme circonstance atténuante. Une affaire récente a vu un vieil homme de 87 ans condamné à plus d’années de prison qu’il ne lui reste à en vivre, alors qu’il était régulièrement sujet à des crises de délire. Il y a une véritable ignorance de la par des jurés sur la maladie mentale car ils ne bénéficient pas de formation spécifique à ce sujet.

Mais les choses bougent lentement : récemment par exemple, un panel d’experts réuni par le ministère de la justice a rendu un rapport sur les huit champs de la justice qui méritaient d’être considérés dans le cadre d’une future réforme de la loi de 2009. Parmi eux figurait la nécessité de l’unanimité des jurés pour la condamnation à la peine de mort ainsi que l’obligation de faire appel devant une Cour constituée de juges professionnels en cas de condamnation à mort par les jurés en première instance. C’est un signe encourageant et une opportunité pour les militants des droits de l’homme.

 

En mars 2012, après 20 mois de moratoire sans exécution, le ministre de la justice Toshio Ogawa a signé la condamnation de trois prisonniers accusés de meurtre. Comment les abolitionnistes japonais ont-ils vécu cette reprise des exécutions ?

Nous avions essayé en 2011 d’avoir notre première année sans exécution depuis trois décennies. Cela a pu être réalisé grâce au travail des prédécesseurs de M. Ogawa au ministère de la justice. Ces précédents ministres ont en refusé de signer les ordres de mise à mort malgré les pressions. Au Japon le pouvoir du ministre de la justice est assez limité et l’interruption des ordres d’exécution dépend fortement de la personnalité du ministre de la justice. Le refus de signer ces ordres d’exécution est malheureusement souvent perçu par les Japonais comme une ignorance des lois. Dans le passé, des ministres de la justice bouddhistes ont notamment refusé de signer des ordres d’exécution.

 

Quelles perspectives voyez-vous pour le combat pour l’abolition de la peine de mort au Japon ? Combien de temps le Japon pourra-t-il encore tenir sous la pression de la communauté internationale ?

Avec la reprise des exécutions en 2012, le Japon a fait un pas en arrière mais nous croyons que dans une perspective de long terme, c’est un recul temporaire. Il n’y a pas de formule magique pour les abolitionnistes. Dans certains pays comme en Angleterre dans les années 1970, la suspension des exécutions puis la suppression du couloir de la mort avaient abouti à une abolition de fait mais au Japon, cela n’a pas été le cas.

C’est une tâche difficile que de lier ensemble les enjeux connectés à la peine de mort, comme le droit à l’information. De nombreux bâtons sont mis dans les roues des avocats abolitionnistes. J’ai récemment encore reçu une réprimande du barreau, adressée à la demande d’un citoyen. [Au Japon chaque citoyen peut demander au barreau d’adresser une réprimande aux avocats dont il juge que le comportement est inapproprié]. Les avocats abolitionnistes sont des cibles pour ces forces favorables au maintien de la peine de mort et répondre à  ce type de réprimande consume beaucoup de notre temps.

Bien qu’il reste un long chemin à parcourir, je reste pourtant confiante dans notre capacité à créer à terme une voix forte qui puisse plaider contre l’application de la peine de mort au Japon. La France qui aujourd’hui lance une offensive diplomatique pour l’abolition universelle de la peine de mort n’a après tout aboli que tardivement en 1981.

Propos recueillis par Emma Ghariani