Iran
14H48 - jeudi 22 mai 2014

Amende record pour BNP Paribas : les Etats-Unis veulent éliminer la concurrence en Iran ?

 

Les négociations nucléaires entre l’Iran et les grandes puissances ont commencé la semaine dernière à Vienne et elles « avancent lentement » malgré leur « difficulté », selon le vice-ministre iranien des Affaires étrangères.

En coulisses, un bras de fer économique se joue : dernier fait en date, le groupe bancaire français BNP Paribas est sous la menace d’une amende record aux Etats-Unis pour avoir violé l’embargo américain, notamment sur l’Iran.

De son côté, la France vient de nommer un attaché économique à l’ambassade de France à Téhéran.

Dans la perspective d’une levée définitive des sanctions sur l’Iran, l’accès au marché iranien est d’ores et déjà l’objet d’une concurrence farouche entre Européens et Américains, les entreprises françaises devant faire face aussi bien aux Allemands, Italiens, Anglais, etc. qu’aux groupes américains. En février 2014 déjà, la visite à Téhéran de 117 chefs d’entreprise français avait été très modérément appréciée à la Maison Blanche, François Hollande et Barack Obama étant interpellés sur cette visite.

Si les sanctions seront peut être levées, qu’en est-il des règles d’application souvent implicites des lois américaines ? Entre sanctions officielles et officieuses, entre règles du jeu visibles et rapports de force cachés, Michel Makinsky, spécialiste de l’économie iranienne et membre de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) en décrypte, à partir de quelques questions, les enjeux.

 Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas

Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de BNP Paribas

 

BNP Paribas serait sur le point d’accepter de payer une amende record aux Etats-Unis sous prétexte d’avoir contourné l’embargo sur l’Iran. Qu’en pensez-vous ?

On avait entendu parler de ce risque émanant d’une enquête diligentée contre BNP Paribas et nous savions que les choses ne se présentaient pas bien. Les hypothèses en cours tablaient plutôt sur une provision d’1,1 milliard de dollars pour couvrir l’amende ou la transaction permettant d’éviter un procès. Mais on évoque une amende dont le montant pourrait atteindre entre 3 ,5 et 5 milliards de dollars, ce qui est considérable !

Le principe est évidemment choquant dans la mesure où ceci est une manifestation de l’extra-territorialité du droit américain. Nous sommes là dans une situation qui est un pur rapport de force.

Maintenant on peut se poser la question, au-delà des questions juridiques éventuelles, quelle pourrait être la réponse politique à apporter, si tant est qu’il y en ait une,  à ce genre de situation. Je ne vois pas dans les dispositions actuelles des pouvoirs politiques français, l’hypothèse d’une protestation officielle.

Je pense néanmoins que ceci devrait inspirer quelques réflexions qui vont au-delà du cas précis de BNP Paribas. Je fais allusion, en-dehors de ces « punitions » financières, aux pressions qui sont officieusement imposées à toutes les banques internationales pour leur interdire pratiquement d’opérer avec l’Iran, y compris pour des transactions parfaitement licites.

Je suis un peu surpris de la relative timidité des pouvoirs publics français à cet égard. Si l’on envisage qu’il y ait un accord entre les 5 + 1 (les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU et l’Allemagne) et l’Iran, ce qui n’est pas du tout acquis, et que cet accord se traduise par une levée officielle des sanctions, un problème essentiel demeurera entier : les pressions officieuses exercées par le trésor américain sur ces banques ne seront pas abandonnées parce qu’elles ne sont pas officielles justement. Il y donc là un véritable souci : en pratique, on peut donc craindre que la levée des sanctions officielles ne soit, de ce fait, d’un effet assez limité, en particulier pour les sociétés françaises qui souhaitent opérer en Iran.

Donc, au-delà de l’affaire BNP Paribas, on aimerait qu’il y ait une attitude de fermeté des autorités françaises puisque les pressions officieuses rendront, en grande partie, inopérante cette levée de sanctions. Les entreprises françaises resteront pénalisées. Les entreprises américaines auront, en revanche, un boulevard. Ce qui bien évidemment est en réalité l’objet de ces sanctions : éliminer de l’accès au marché iranien la concurrence étrangère, notamment française.     


Depuis la reprise des discussions sur le nucléaire et
la fameuse mission MEDEF du début février de cette année, des contrats ont-ils été signés ou des avancées commerciales observées entre l’Iran et la France ?

Non, il n’y a eu aucun contrat de signé parce que les entreprises françaises ont clairement affirmé qu’elles respectaient les sanctions et qu’elles ne signeraient aucun contrat tant que les sanctions ne seront pas levées. En revanche, il y a bien des discussions, des situations qui sont examinées et des prospections commerciales en cours d’évaluation. Mais elles ne sont en aucun cas ni interdites ni répréhensibles, comme cela a été répété aux autorités américaines.


Est-ce à dire qu’aujourd’hui il n’y a aucun échange économique entre la France et l’Iran ?

Nous n’avons pas de données précises sur ce sujet mais les indications disponibles laissent clairement entendre qu’ils se sont bel et bien effondrés.En février 2014,le commerce bilatéral avait péniblement atteint environ 240 millions d’euros.


Sur quels marchés iraniens la France est-elle la mieux placée selon vous ?

La France était déjà le premier opérateur étranger dans le secteur automobile et c’est une des raisons pour lesquelles l’Executive Order du 3 juin 2013 a été prononcé (NDLR : le 3 juin 2013, le Département du Trésor américain a renforcé ses sanctions à l’encontre de l’Iran au moyen de l’Executive Order Act 13645, consultable sur le site de la Maison Blanche). Sous couvert de sanctionner le secteur automobile iranien, il sanctionne en réalité le secteur automobile français, c’est très clair.

La France avait, par ailleurs, des positions importantes dans différents secteurs. On pense évidemment à Total et aux constructeurs automobiles qui avaient une forte présence. Mais beaucoup d’autres entreprises françaises étaient actives, certaines le sont encore, même si le niveau en est devenu bien plus modeste en raison des sanctions.

Il y a des secteurs fort variés extrêmement porteurs pour l’industrie française. Outre l’énergie, qui ne se limite pas aux hydrocarbures mais comprend désormais les énergies renouvelables, il faut prendre en compte aussi celui de l’eau et de l’assainissement, le traitement des déchets et l’environnement qui sont des priorités, au même titre que l’agriculture. Sont aussi prometteurs le secteur des  télécommunications, celui des infrastructures, ferroviaires notamment, et, ne l’oublions pas, la grande consommation, le luxe, y compris celui des cosmétiques qui représente un marché extrêmement important en Iran. Le médicament aussi est un secteur où les entreprises françaises sont présentes. Si les sanctions étaient levées, les besoins considérables de l’Iran en véhicules automobiles offriraient à nos constructeurs de vastes marchés.

Les Français sont donc présents un peu partout avec des positions qui n’étaient pas négligeables avant les sanctions et, surtout, avant que la France ne décide de les appliquer avec énormément de zèle par rapport à ses concurrents allemands, italiens et même américains. Et n’oublions pas, au niveau européen, la place d’AIRBUS, pour qui l’allègement partiel des sanctions aurait dès à présent dû ouvrir le marché de fournitures de pièces et de services à l’aviation civile iranienne. Or à ce jour, les canaux financiers dédiés n’ont pas été mis en place, mais surtout Boeing et General Electric sont déjà sur les rangs pour fournir Iran Air alors qu’il semble que, comme par hasard, la voie n’est toujours pas libre pour AIRBUS pour pouvoir fournir une autre compagnie aérienne iranienne dont la flotte n’est pas composée de Boeings. Il en est de même pour les canaux financiers qui, selon l’accord intérimaire de novembre dernier, auraient dû être mis en place pour les importations de biens « humanitaires » (produits agricoles, aliments, médicaments, matériel médical…)  vers l’Iran, et n’ont pas été créés. Curieusement, les exportations de grain américain vers l’Iran ne semblent guère connaître de problèmes…


Moscou discute avec Téhéran depuis quelques mois d’un éventuel accord qui verrait la Russie acheter jusqu’à 500.000 barils de pétrole iranien par jour en échange de la fourniture de marchandises russes. Que pensez-vous de ce marché entre la Russie et l’Iran ?

C’est un dossier dont on parle beaucoup, qui fait l’objet de discussions compliquées, à la fois entre les Iraniens et les Russes et entre les Russes et les Américains. Les Américains ont fait clairement savoir qu’ils étaient opposés à ce marché. Il n’y a pas d’indications précises quant à l’état actuel des discussions. Dans l’état de mes connaissances, rien n’indique aujourd’hui qu’il soit finalisé ni, a fortiori, exécuté.


Peut-on y voir les signes du renforcement d’un axe Iran – Russie ?

Cela est certain, il y a bien un axe Iran – Russie qui se conforte, et le contrat que nous avons évoqué précédemment n’en n’est qu’un des aspects. Les Iraniens ont besoin des Russes sur plusieurs points. D’une part, la Russie représente un de ses rares appuis dans les négociations sur le nucléaire. Deuxièmement, il existe des intérêts réciproques russes et iraniens. Et enfin, et peut-être surtout, chose dont on ne parle pas du tout, il y a une discussion cruciale qui a repris récemment sur la délimitation des zones territoriales de la mer Caspienne.

Le régime de la mer Caspienne est bloqué parce que tous les Etas riverains, à l’exception de l’Iran, ont signé un accord bilatéral avec les Russes pour s’entendre sur une part de souveraineté sur ces eaux. L’Iran se prévaut d’un vieux traité signé avec l’Union soviétique qui lui accordait une part plus grande que les autres. Or, depuis 15 ans et la chute de l’URSS, la Russie s’y oppose fermement.

Les Iraniens ont un besoin urgent de mettre en production leurs gisements de gaz sous les eaux de la Caspienne. On perçoit ainsi, depuis assez peu de temps, des signes d’assouplissement dans la position iranienne et des signaux envoyés en direction des Russes. Il y a déjà eu plusieurs discussions sur le sujet ainsi qu’une conférence interministérielle récente. Sans pouvoir évidemment affirmer que cela va se produire, il n’est pas exclu que les Iraniens fassent preuve de plus de souplesse.

Michel Makinsky est chargé d’enseignement à la France Business School de Poitiers, chercheur associé à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) et directeur Général de AGEROMYS INTERNATIONAL, société de conseil sur l’Iran.

Il est l’auteur de L’économie réelle de l’Iran au delà des chiffres sorti en mars 2014 aux éditions L’Harmattan. 

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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