Iran
11H41 - jeudi 15 mai 2014

Iran – Etats-Unis : un rapprochement inéluctable ?

 

Victoire inattendue du candidat le plus modéré à l’élection présidentielle iranienne Hassan Rohani en juin 2013, coup de téléphone historique du nouveau président iranien à Barack Obama en septembre, accords intérimaires de Genève sur le nucléaire entre l’Iran et les 5 + 1 (Chine, États-Unis, Fédération de Russie, France, Royaume-Uni + Allemagne) en novembre de la même année : fin 2013, tout semblait indiquer qu’un rapprochement, considéré jusque-là comme tabou, s’amorçait entre l’Iran et les Etats-Unis.

Plus encore, alors que les autorités Iraniennes et américaines se sont mutuellement diabolisées pendant 35 ans, de nombreux observateurs – américains, européens mais aussi iraniens – ont vu dans cette ouverture un caractère inéluctable.

Pourtant, au-delà des résistances internes et externes, les récents événements en Ukraine et la montée en puissance de la Russie viennent, de façon collatérale, menacer la normalisation des relations irano-américaines.

Le présiden iranien, Hassan Rohani, à une conférence de presse à Téhéran en novembre 2013 © Xinhua / Allpix Press

Le présiden iranien, Hassan Rohani, à une conférence de presse à Téhéran en novembre 2013 © Xinhua / Allpix Press

La fin de la diabolisation de l’Iran

En septembre 2013, à la veille du discours très attendu du président iranien devant l’Assemblée générale des Nations unies à New York, l’éditorialiste Mehdi Ayati du quotidien iranien réformateur Arman espérait que l’éventuelle rencontre entre « Hassan Rohani et Hossein Barack Obama » puisse « susciter des changements fondamentaux dans les relations entre l’Iran et les Etats-Unis ». La rencontre n’aura pas lieu, mais les accords de Genève sur le nucléaire signés en novembre incarneront bien plus concrètement l’amorce d’un possible changement, manifestant d’emblée une attitude plus ouverte et proactive de la part de Téhéran. Entrés en application le 20 janvier 2014 pour une durée préliminaire de six mois, l’objectif de ces accords est de rétablir la confiance, pour à terme, négocier un accord définitif permettant notamment de lever définitivement les sanctions économiques qui pèsent aujourd’hui sur l’Iran.

Les motivations iraniennes et l’enjeu de cette ouverture dépassent ainsi largement le cadre strictement nucléaire. L’Iran veut redonner confiance et aspire à redevenir un acteur « normal » politique et économique sur les scènes régionale et mondiale. Pour M. Ardavan Amir-Aslani, auteur de Iran – États-Unis, les amis de demain ou l’après-Ahmadinejad paru en 2013, non seulement l’élection de Rohani s’inscrit sans conteste dans cette perspective, mais le rapprochement avec les Etats-Unis est inéluctable : « les Iraniens sont contraints de s’entendre avec les Etats-Unis, notamment pour mettre fin aux sanctions économiques et retrouver leur place dans le concert des Nations ».

Aux yeux de M. Amir-Aslani, le résultat de l’élection de M. Rohani est en grande partie dû aux Iraniens âgés de moins de 40 ans représentant 70% de la population (NDLR chiffre non vérifié). Ces Iraniens, éduqués, ouverts sur le monde et qui aspirent à un mode de vie séculier, ont voté dans leur immense majorité pour Rohani, candidat pourtant le moins aimé du pouvoir et en rupture totale avec son prédécesseur Ahmadinejad. M. Amir-Aslani est persuadé que le régime iranien peut se réformer de l’intérieur. Ces élections de 2013 l’ont prouvé, « le pouvoir ne peut pas ne pas tenir compte de la volonté nationale ».

Plus fondamentalement encore, les Iraniens, le peuple iranien, se sentent culturellement très proches du mode de vie américain. C’est aux Etats-Unis que la diaspora iranienne est la plus nombreuse. Et Obama l’a compris qui délivre chaque année, pour le Nouvel An perse de Norouz, un message aux Iraniens du monde.

Pax Americana-Irania : l’Iran géopolitiquement incontournable pour les Etats-Unis

Alors que la position de l’Iran comme un acteur régional et international incontournable avait été sciemment ignorée jusque là, en particulier par Washington, une prise de conscience a émergé : la principale menace dans la région ne réside plus dans le programme nucléaire iranien, mais dans l’instabilité. Pour les Américains, l’enjeu d’une légitimité retrouvée de l’Iran réside ainsi dans son rôle géostratégique de stabilisation dans le golfe Persique et le Moyen-Orient mais aussi dans l’Asie du Sud-Est.

Au-delà de la richesse de l’Iran qui en fait, de facto, un acteur clé dans le système des relations internationales, Téhéran est susceptible de favoriser les intérêts américains dans ces régions. Les Américains ont tout intérêt au dégel des relations avec un pays qui ne fait désormais plus partie de « l’axe du mal ». Dr. Nasser H. Saidi, économiste et conseiller auprès des banques centrales, estime que seule une « Pax Americana-Irania » peut amener à la stabilisation de la situation en Iraq, en Afghanistan et au Pakistan. Ce nouvel équilibre peut aussi aider à la résolution du conflit israélo-palestinien et à éviter que la Syrie se transforme en Etat failli avec des risques de déséquilibres profonds dans toute la région.

Autre facteur déterminant : la position géostratégique de l’Iran est d’autant plus incontournable qu’il se situe dans une région à la confluence du golfe Persique et de la mer Caspienne qui va progressivement devenir le point névralgique de passage des oléoducs et gazoducs reliant la Caspienne, la Méditerranée, la mer Noire et l’océan Indien.

Des opposants au rapprochement américano-iranien

Sur la scène régionale, toute velléité de rapprochement entre Téhéran et Washington suscite de la méfiance, voire une franche opposition. Quand début mai, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, affirmait que « la menace iranienne empêche tout processus de paix », il liait directement la question du nucléaire iranien et le rapprochement entre l’Occident et Téhéran aux négociations entre Israël et les Palestiniens.

Un réchauffement entre l’Iran et les Etats-Unis inquiète les puissances régionales pour qui tout accroissement de l’influence de Téhéran est perçu comme un préjudice, voire une menace. En octobre 2013, Reuters citait Abdullah al-Askar, président du comité des affaires étrangères saoudien : « Si les Etats-Unis et l’Iran parviennent à un accord, ce sera au détriment des Etats du golfe et du monde arabe ». Ceci dit, ce qui s’apparente parfois à des gesticulations n’empêche nullement les chancelleries de ces pays de se rencontrer et de se parler.

Mais les adversaires au changement du statut international de l’Iran et au réchauffement irano-américain se retrouvent aussi dans les oppositions internes de chacun des deux pays. Alors qu’il semble en effet y avoir consensus parmi la classe politique iranienne sur la nécessité de mettre fin aux sanctions économiques imposées par Washington, il existe pourtant des opposants internes qui se nourrissent de considérations aussi bien idéologiques et politiques que personnelles. Les plus conservateurs craignent que les accords sur le nucléaire ne soient que le début d’un processus plus profond menant tout droit à des changements dans la structure même du régime.

Tout comme à Téhéran, il existe à Washington des opposants à toute forme d’accord ou d’ouverture avec l’Iran. Cette résistance, même si elle s’exprime de façon plus virulente chez les républicains, traverse largement la ligne de séparation politique entre démocrates et républicains. Les lobbys représentant des intérêts étrangers, notamment saoudiens et israéliens, prônent également une ligne dure contre l’Iran. Collectivement, cette opposition et ces groupes peuvent véritablement entraver une ouverture à laquelle Obama semble pourtant favorable.

Conscient de l’enjeu stratégique iranien, le président américain fait face à une opposition au Congrès de plus en plus déterminée, incluant des membres de son propre camp. En janvier 2014, il a dû menacer de véto une initiative des parlementaires visant à imposer de nouvelles sanctions contre l’Iran au cas où Téhéran ne respecterait pas l’accord intérimaire sur le nucléaire. Cette initiative torpillerait, selon le président, la voie diplomatique ouverte à Genève entre Téhéran, les Etats-Unis et les autres grandes puissances. Il y a d’autant plus urgence que la marge de manœuvre déjà étroite du président américain risque de se rétrécir encore davantage lors des élections à mi-mandat qui auront lieu en novembre. Les républicains menacent d’ores et déjà d’utiliser sa main tendue vers l’Iran comme un argument de campagne contre les démocrates.

Un axe Iran-Russie, alternative au rapprochement entre l’Iran et les Etats-Unis

Alors que les premiers pas vers une normalisation des relations irano-américaines ont été désormais accomplis – les accords de Genève en sont la manifestation la plus concrète – c’est paradoxalement la crise ukrainienne qui pourrait venir porter un coup d’arrêt à cette amorce. Moscou discute en effet avec Téhéran depuis quelques mois d’un éventuel accord qui verrait la Russie acheter jusqu’à 500 000 barils de pétrole iranien par jour, en échange de la fourniture de marchandises russes.

Cet accord, qualifié de « Oil for Goods » par ceux des Européens et des Américains qui cherchent à déprécier l’Iran, est très mal accueilli par Washington. Ce qualificatif fait ironiquement référence au programme mis en place par les Nations unies en Irak dans les années 1990 pour officiellement limiter l’impact sur la population locale des sanctions visant Saddam Hussein.

L’accord entre Moscou et Téhéran n’est qu’en discussion, mais son aboutissement, ou son échec, dévoilera les choix de politique étrangère de la Russie. Avant l’annexion de la Crimée, le Kremlin donnait la priorité à l’accord international sur le nucléaire iranien plutôt qu’au marché « pétrole contre marchandises » avec l’Iran. La Maison-Blanche a fait part de sa « grande préoccupation » ajoutant qu’un tel accord pourrait mettre en péril les négociations en cours avec l’Iran sur le dossier nucléaire.

Cet accord potentiel entre Russes et Iraniens dévoile en réalité une possibilité de rapprochement entre les deux pays d’une profondeur stratégique qui va bien au-delà d’un simple arrangement commercial. L’Iran et la Russie ont en effet objectivement intérêt à s’allier. L’aggravation des tensions entre « l’Occident » et la Russie au sujet de l’Ukraine peut pousser Moscou à se servir des accords de Genève comme levier de négociation face à l’Europe et aux Etats-Unis.

Dans la perspective iranienne, Téhéran a intérêt à se rapprocher de la Russie pour diminuer ou assouplir les contraintes imposées par Genève sur son programme nucléaire.

En outre, non seulement la Russie et l’Iran cherchent à devenir des acteurs influents, aussi bien dans la région du Moyen-Orient que plus globalement, mais l’un et l’autre se perçoivent comme incompris et exclus de la communauté internationale. Des objectifs communs, dont la Syrie est un exemple déterminant, ainsi qu’un sentiment partagé de « vexation » peuvent conduire ces deux pays à s’allier dans une posture d’affrontement et de résistance aussi bien à l’Europe qu’aux Etats-Unis. Dans cette perspective, le rapprochement irano-américain est encore loin d’être acquis.

La façon dont se clôturera en juin la première phase de l’accord de Genève sera déterminante pour savoir si l’Iran reprend une place centrale dans le concert des nations, en sachant s’entendre avec tous les protagonistes de la communauté internationale, ou si elle choisit son camp dans ce qui s’apparente à une nouvelle guerre froide.

Stéphane Mader
Rédacteur en chef - Chief Editor

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