Iran
08H29 - jeudi 12 décembre 2013

« L’Iran peut aider au règlement des crises au Moyen-Orient »

 

Deuxième partie de l’entretien avec Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d’Iran en France. Après le nucléaire hier, l’ambassadeur a répondu à nos questions sur la peine de mort, les relations avec Israël et enfin sur la manière dont l’Iran imagine l’avenir avec la France. 

Ali Ahani, ambassadeure de lRépublique islamique d'Iran

Ali Ahani, ambassadeure de lRépublique islamique d’Iran

Le président Rohani est-il sous pression de la part de forces conservatrices au sein du régime, émanant notamment du Guide Suprême de la Révolution, l’Ayatollah Ali Khamenei concernant les tensions entre le Guide Suprême et le Président Rohani ? Quel est le champ d’action du nouveau président ?

Je voudrais attirer votre attention à ne pas utiliser le terme « régime » car c’est pour nous un terme péjoratif surtout que vous ne l’utiliseriez pas pour qualifier par exemple les autres pays européens.

 

Nous entendons régime au sens qui lui est donnée en sciences politiques.

Il n’y a absolument pas de tensions entre le Guide suprême et le président Rohani. Ce dernier a la confiance du Guide.

Selon la Constitution iranienne, le Guide Suprême a un regard global sur les grandes lignes de la politique iranienne en vue de préserver et protéger les intérêts nationaux du pays et pour cette raison, il a bien entendu le dernier mot.

Sur des dossiers comme le nucléaire, le Conseil Supérieur de la Sécurité Nationale, présidé par M. Rohani, délibère. Le Guide suprême a deux représentants au sein de ce Conseil. Il valide en dernier lieu la décision du Conseil National Supérieur de la Sécurité Nationale. Les principes sont clairs mais la manière de négocier dépend du négociateur, en l’occurrence le ministre des Affaires étrangères, actuellement M. Mohammad Javad Zarif. Les bases de la négociation sont très claires pour tout le monde.

 

Sur les droits de l’homme, parlons de la peine de mort. L’Iran avec les Etats-Unis, la Chine et l’Arabie saoudite fait partie des pays où se produisent le plus d’exécutions, parfois même publiques. Le président Rohani prévoit il de restreindre l’application de la peine capitale ? A titre personnel, êtes-vous pour cette peine ?

Personne ne peut être content de l’exécution d’êtres humains. La loi en Iran est régie par la loi islamique et les préceptes du Coran : la loi du Talion. Nous sommes toujours critiqués pour le nombre d’exécutions.

Sachez que nous devons faire face à un afflux de trafic de drogue en provenance d’Afghanistan : 90% de la drogue produite en Afghanistan est destinée à l’Europe et transite par l’Iran. Nous sommes face à des mafias très dangereuses. Nous avons investi beaucoup d’argent pour la lutte contre le trafic de drogue et perdu près de 4 000 policiers dans cette lutte.

Selon la loi, les mafias doivent être punies et la peine de mort s’applique. Sauf à considérer qu’il faille fermer les yeux, nous n’avons pas d’autre choix. Le trafic de drogue représente aujourd’hui près 80% des exécutions [NDLR : 76% selon un rapport établi par les ONG Ensemble Contre la Peine de Mort et Iran Human Rights pour l’année 2012].

La loi du Talion permet de comprendre l’application de la peine de mort dans les 20% de cas restants : la famille d’une victime a le droit de réclamer l’exécution capitale du coupable. Pour limiter le nombre d’exécutions liées au droit de talion. Nous étudions aujourd’hui très strictement chaque dossier de condamné par plusieurs filtres pour ne pas commettre d’erreur judiciaire et nous essayons aussi de discuter avec la famille de la victime, parfois en versant des indemnités, pour la convaincre de ne pas réclamer l’application de leur droit du Talion.

 

Doit-on s’attendre avec l’élection du président Rohani à des changements en matière de droits de l’homme ?

Le président Rohani a annoncé que son gouvernement travaillait à la préparation d’une charte des droits des citoyens. Il a préparé un texte qu’il a publié dans les médias afin que les experts puissent faire connaître leurs analyses et le compléter. C’est important, c’est une avancée.

Dans son gouvernement, il a choisi trois femmes en tant que vice-présidentes de la République. Il a aussi choisi un vice-président en charge des affaires des minorités. Ce sont des signes importants. Des mesures concrètes sont prises également : par exemple, des femmes qui gagnent le même salaire que les hommes ont vu leurs horaires de travail réduites afin de pouvoir s’occuper de leur famille.

En ce qui concerne la lapidation, depuis des années, suite à la décision du Président du Pouvoir Judiciaire iranien, un moratoire a été décrété sur la lapidation, cela signifie que selon la loi un juge pourrait éventuellement rendre un verdict de lapidation mais ce verdict ne peut plus être appliqué et est automatiquement remplacé par d’autres sanctions. [NDLR : D’après le Comité international contre la lapidation, basé en Allemagne, quelque 150 cas ont été recensés entre 1980 et 2010.]

 

On sait qu’Israël  a qualifié l’accord de Genève d’« erreur historique » et ne croit pas au changement incarné par le président Rohani, même si cette position ne fait pas l’unanimité en Israël. Pensez-vous qu’à moyen terme les Iraniens et les Israéliens puissent se rapprocher ? 

Notre position à l’égard du « régime sioniste » est claire depuis la victoire de la révolution islamique en Iran, et je vous rappelle que les hautes autorités de ce régime n’ont jamais cessé de menacer l’Iran d’attaque militaire et ceci dans l’indifférence totales des pays occidentaux.

 

Vous ne voulez pas que l’on emploie le terme de régime pour l’Iran mais vous parlez de régime pour Israël…

Oui vous savez bien sur quelle base ce régime a été crée. La politique d’oppression israélienne vis-à-vis des Palestiniens nous choque beaucoup. Elle se manifeste à travers la politique de colonisation, le non respect des droits du peuple palestinien et une hostilité marquée aux plans de paix. En outre, la position israélienne sur le nucléaire visait à éloigner l’attention de la communauté internationale de la non-résolution du conflit israélo-palestinien.

 

Vous pensez qu’un dialogue sera possible si et quand il y aura un accord de paix ?

Je ne suis pas du tout optimiste sur le fait que les Israéliens acceptent un accord de paix qui les forcerait à reconnaître les droits du peuple palestinien.

En Iran, nous avons un grand respect pour la religion juive. Nous avons des milliers de citoyens iraniens de confession juive qui sont très respectés et bénéficient d’une liberté de culte totale et ont les mêmes droits que tout citoyen iranien et de plus, toutes les minorités religieuses, y compris juive, ont leur propre député au Parlement iranien. Nous sommes un peuple qui a un grand respect pour les autres religions et cultures. Depuis des siècles nous cohabitons avec les différentes minorités religieuses dont juive. Il ne faut pas mélanger cela avec notre position à l’égard de la politique du « régime sioniste ».

 

Une dernière question : que représente la France pour l’Iran dans le jeu politique international ?

Notre relation avec la France est enracinée dans l’Histoire, ayant l’un et l’autre beaucoup d’intérêts communs et de capacité de coopération. Sur le plan politique, la France et l’Iran peuvent coopérer et aider à résoudre les crises surtout au Moyen-Orient.

Dans le domaine commercial et économique, nous avons des potentiels et capacités énormes de coopération, mais nos échanges qui étaient de 4,5 milliards d’euros en 2006, ont chuté brutalement à 380 millions d’euros en 2013, en raison du gel des relations commerciales en  et les USA, bien qu’ils ont été à l’origine des sanctions imposées contre l’Iran, ont progressivement augmenté leurs exportations sur le marché iranien. Concernant nos intérêts communs avec la France, je suis quand même optimiste pour la consolidation approfondie de nos relations dans l’avenir.

Propos recueillis par Elie Levaï et Michel Taube

Directeur de la publication
Rédacteur en chef

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