Opinion Outre-Mer
22H39 - mercredi 29 octobre 2025

Olivier Sudrie : « Cette loi sur la vie chère est inutile et contre-productive pour les consommateurs dans les Outre-mer »

 

Opinion Internationale : bonjour Olivier Sudrie, vous êtes professeur d’économie à l’université Paris-Saclay, fondateur associé du cabinet DME et l’un des meilleurs connaisseurs des économies ultramarines depuis plus de trente ans. Nous vous recevons pour parler de la « loi Valls sur la vie chère », reprise à son compte par le Premier ministre Sébastien Lecornu et votée en première lecture par le Sénat le 28 octobre.

Selon vous, cette loi va-t-elle permettre de faire baisser les prix dans les Outre-mer et réellement alléger la vie quotidienne des ultramarins ?

Olivier Sudrie : Non, je n’y crois pas un seul instant. Cette loi va surtout susciter une grande frustration, car elle s’attaque à un sujet certes essentiel mais sans y apporter la moindre réponse concrète. Les articles qu’elle contient ne permettront ni de réduire les prix, ni de traiter les causes structurelles de la vie chère, qui sont anciennes et profondes.

Les dispositions qu’elle prévoit vont alourdir les contraintes sur les entreprises, notamment celles de la grande distribution, en les obligeant à se justifier en permanence.

L’exemple des « marges abusives » est révélateur : nos études menées en Martinique ou à Saint-Pierre-et-Miquelon montrent que les marges des distributeurs y sont comparables à celles de l’Hexagone. On parle même de « marges arrière », un concept qui n’existe ni en droit commercial ni en comptabilité, pour désigner les rabais accordés aux grandes enseignes qui achètent en gros. Vouloir plafonner ces remises reviendrait à augmenter les prix finaux, au détriment du consommateur ultramarin.

 

Donc, cette loi risque non seulement d’être inefficace, mais aussi d’aggraver les difficultés économiques locales ?

Exactement. C’est le danger de toute dérive bureaucratique. Le texte va générer des coûts supplémentaires pour les entreprises, contraintes de multiplier les contrôles, les rapports, les démarches administratives. Paradoxalement, ce sont les plus grandes structures qui s’en sortiront, tandis que les petites et moyennes entreprises seront étouffées. On reproduit ici les travers du « mal français » : une complexité administrative qui décourage les acteurs économiques. Les dispositifs comme les zones franches d’activité, pourtant bénéfiques sur le papier, sont conçues de façon si compliquée que la majorité des TPE et PME n’en profitent pas.

 

Mais la vie chère reste pourtant une réalité dans les Outre-mer. Comment faudrait-il, selon vous, s’attaquer à ce problème ?

Il faut d’abord comprendre que la vie chère n’est pas qu’une question de prix : c’est une question de revenus. Une marchandise n’est chère que si les salaires ne suivent pas. Agir sur les prix, c’est utile, et certains territoires l’ont compris. En Martinique, par exemple, un protocole a permis de supprimer les frais d’approche sur les produits de première nécessité : alimentation, couches, eau, etc. Ces coûts de transport ont été transférés sur des biens de moindre nécessité, avec l’appui de la Collectivité territoriale et de l’État. C’est une approche intelligente.

Nous avons aussi travaillé sur la création d’une « prime de vie chère » pour les salariés du secteur privé. Elle permettrait d’augmenter sensiblement les revenus des ménages les plus modestes, jusqu’à environ 240 euros par mois pour un Smicard. Son financement serait assuré par deux leviers : le plafonnement des sur-rémunérations de la Fonction publique, qui coûtent près d’un milliard d’euros par an, et la réduction de la niche fiscale dont bénéficient les ménages les plus aisés Outre-mer. Cette prime serait donc financée par les ultramarins eux-mêmes, sans peser sur le budget national.

Enfin et surtout, l’emploi. C’est le véritable rempart contre la vie chère. Le taux d’emploi dans les Outre-mer est inférieur de 10 à 20 points à celui de la métropole. Relever ce taux, c’est mécaniquement redonner du pouvoir d’achat et stimuler la croissance locale. Le tourisme, la mer, la biodiversité sont autant de gisements d’emplois encore sous-exploités. Au lieu de faire la « police des prix », l’État devrait libérer les énergies, encourager la création de valeur et faciliter l’embauche.

 

Alors, si vous deviez écrire une grande loi Outre-mer que nous appelons de nos vœux depuis un an, sur quoi porterait-elle ?

Elle porterait sur la croissance et l’emploi. Il faut libérer la création de richesses, rendre le travail plus attractif. Chaque territoire ultramarin a ses spécificités, mais tous ont en commun ce besoin de libérer la croissance. C’est la seule voie pour redonner du pouvoir d’achat, créer des emplois durables et faire reculer durablement la vie chère.

 

Propos recueillis par Michel Taube. Son dernier édito : « une loi pour rien ?’

Olivier Sudrie : « Cette loi sur la vie chère est inutile et contre-productive pour les consommateurs des Outre-mer »

Directeur de la publication