Edito
16H30 - lundi 7 juillet 2025

Ramata Dumbuya : « vers une réforme de l’arbitrage par la France, tracer la voie d’une justice internationale équitable »

 

Ramata Dumbuya : « vers une réforme de l’arbitrage par la France, tracer la voie d’une justice internationale équitable »

Alors que l’arbitrage international est critiqué pour des conflits d’intérêts, des financements opaques et des décisions juridiquement acrobatiques, la France réfléchit à une réforme ambitieuse qui pourrait bien redéfinir les standards mondiaux. Avec son projet de Code unique de l’arbitrage, Paris proposerait bien plus qu’une réforme technique : elle initierait une reconquête éthique de la justice internationale.

Cette réforme du Code, la première depuis plus d’une décennie, permettrait de consolider les règles existantes tout en instaurant un socle de principes directeurs. L’objectif : restaurer les valeurs fondamentales d’impartialité, de transparence et d’indépendance dans un système aujourd’hui trop souvent dominé par les logiques d’opportunisme.

 

L’affaire Sulu : un symptôme du dérèglement global

L’affaire emblématique opposant la Malaisie aux héritiers autoproclamés du sultanat de Sulu a révélé toutes les failles du système actuel. Fondée sur un obscur traité de 1878, cette revendication historique s’est transformée en une offensive juridique de 15 milliards de dollars, portée par des cabinets d’avocats et financée par des investisseurs tiers à hauteur de 20 millions de dollars.

Après la mise à l’écart de l’arbitre initial par la justice espagnole pour irrégularités, ce dernier a déplacé l’arbitrage à Paris et rendu sa sentence. Si la sentence n’a pas obtenu exécution devant les juridictions françaises, son potentiel exécutoire existe tant qu’elle n’est pas annulée. Le comportement de l’arbitre, condamné pour ses actes en Espagne et rémunéré à hauteur de 2 millions de dollars, incarne les dérives éthiques que la réforme française vise à prévenir.

Même si plusieurs juridictions européennes ont récemment invalidé les fondements du dossier, la Cour de cassation française ayant jugé la clause compromissoire du traité de 1878 nulle, la décision de la Cour d’appel de Paris quant à l’annulation de la sentence est plus qu’attendue.

Et ce d’autant plus qu’à la suite de la décision française de non exécution, les héritiers de Sulu ont lancé une action contre l’Espagne devant le CIRDI pour « déni de justice » du fait de la révocation de l’arbitre, prétendument motivée par des pressions politiques.

L’affaire met également en cause le rôle parfois trouble de certains financeurs tiers. Petronas, la compagnie malaisienne, poursuit actuellement le financeur Therium pour influence indue dans la procédure.

Cette affaire met en lumière les lacunes systémiques de l’arbitrage privé et souligne l’urgence de réformes garantissant transparence, impartialité et encadrement éthique. Malgré les avancées, le coût réputationnel et financier pour la Malaisie a été immense. En ayant permis à cette affaire de se poursuivre et en laissant passer des pratiques douteuses, la France a également mis en péril son prestige en tant que place d’arbitrage internationale.

Ce cas est loin d’être isolé. L’absence de contrôle cohérent et l’influence croissante des financeurs alimentent une dérive : l’arbitrage devient un levier spéculatif entre les mains de groupes privés, au détriment de la souveraineté des États et de l’intégrité du droit.

 

Une réponse française, un enjeu européen

En instaurant un cadre éthique strict — incluant la supervision des conflits d’intérêts, l’exigence de transparence sur les financements, et des procédures unifiées — la future réforme française viserait à prévenir ces dérives.

Mais cette ambition ne devrait pas s’arrêter aux frontières françaises. Les vulnérabilités du système sont européennes, voire globales. Une affaire comme celle des Sulu pourrait tout aussi bien viser demain un autre État membre de l’Union. Sans cadre harmonisé, le forum shopping — cette navigation stratégique entre juridictions — restera possible.

L’Union européenne devrait donc s’inspirer du modèle français en discussion pour bâtir un droit de l’arbitrage cohérent, éthique et résilient.

 

Restaurer la confiance : une urgence collective

Ce projet de Code de l’arbitrage ne relève pas du simple formalisme juridique. Il est un outil de redéfinition des règles du jeu et une réaffirmation des valeurs qui se sont érodées. L’arbitrage ne doit pas être gouverné uniquement par des règles, mais également encadré par des principes éthiques protégeant l’équité, l’indépendance et la fiabilité des tribunaux du monde entier.

Alors que les États font parfois face à des revendications démesurées et que des entreprises nationales se voient menacées d’expropriations judiciaires sur des fondements discutables, il est temps de réaffirmer que la justice internationale ne doit pas être un marché — mais un service équitable au service des peuples.

La réforme française serait une première réponse lucide et courageuse. À l’Union européenne, et au-delà, d’embrasser cette exigence éthique avant qu’une nouvelle affaire Sulu ne vienne rappeler cruellement à quel point l’arbitrage, sans principes, devient un outil d’injustice.

 

Ramata Dumbuya

Diplômée de Georgetown Law School, Ramata Dumbuya est engagée sur les enjeux de gouvernance éthique et de justice internationale. Elle dirige l’Association des Jeunes pour l’Agriculture du Mali (ASJAM) et a conseillé des institutions publiques américaines sur les relations internationales.

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