
Le Parquet national financier a donc ouvert une information judiciaire visant le Groupe Bernard Hayot pour « entente », « abus de position dominante » et « escroquerie en bande organisée », confiée à deux juges d’instruction. C’est un fait. Un fait judiciaire, encadré par le droit, par des procédures, par des garanties fondamentales, au premier rang desquelles figure la présomption d’innocence. Un fait qui, pourtant, a immédiatement été transformé en réquisitoire public, en procès médiatique, en condamnation anticipée, sur la base d’un article de Libération, journal militant dont l’engagement idéologique contre les grands acteurs économiques ultramarins, et plus largement contre toute réussite entrepreneuriale jugée illégitime, n’est plus à démontrer.
Rappelons d’abord ce que sont précisément les griefs évoqués par le PNF. L’information judiciaire porte sur des soupçons d’entente entre acteurs économiques, d’abus de position dominante sur certains marchés, notamment automobile, et d’escroquerie en bande organisée, cette dernière qualification visant de supposées dissimulations de marges auprès de constructeurs automobiles afin d’obtenir des primes commerciales. À ce stade, il ne s’agit ni de mises en examen rendues publiques, ni de faits établis, ni a fortiori de condamnations. Il s’agit d’allégations, contestées par le groupe, issues pour l’essentiel d’un article de presse et de plaintes avec constitution de partie civile déposées par des organisations syndicales engagées de longue date dans un combat politique contre ce qu’elles désignent comme le « système économique » ultramarin.
Dans un communiqué laconique, le Groupe Bernard Hayot rappelle sa ligne constante : se tenir à la disposition de la justice, coopérer pleinement avec les autorités judiciaires et affirmer avoir toujours agi dans le strict respect de la loi, notamment en matière de droit de la concurrence, sans jamais avoir été sanctionné pour de tels manquements. Voilà qui, là encore, relève des faits. Tout le reste, pour l’heure, appartient au champ de l’enquête, et non à celui de l’anathème.
Un contexte politico-social entretenu par des extrémistes
Depuis plusieurs mois, GBH est au cœur d’une mise en cause permanente orchestrée par des indépendantistes et des anticapitalistes qui minent les fondements pourtant déjà fragiles de la société martiniquaise :
- des accusations portées par des militants et des complotistes ;
- Des relais politiques parmi des députés Insoumis de Martinique ;
- des articles successifs dans la presse ultramarine et nationale qui en font le relais,
- des prises de parole régulières de radicaux souhaitant déstabiliser les équilibres économiques existants, comme Rodrigue Petitot et le RPPRAC
- des interventions de « nouveaux experts » autoproclamés, aussi médiatisés sur les réseaux sociaux et les plateaux télévisés qu’incompétents en matière économique,
- jusqu’à des propos tenus à l’Assemblée nationale évoquant un supposé rôle d’« étouffement » de l’économie, portés par l’ancien ministre des Outre-mer, Manuel Valls, certainement mal conseillé par des gauchistes et des envieux des réussites de GBH ;
Dans ce contexte, le PNF ne pouvait probablement pas rester inactif. Mais il ne doit pas être dupe !
En effet, ce que révèle Emmanuel Fansten dans son article de Libération du jeudi 18 décembre 2025, lequel a relancé la polémique médiatique sur GBH, deux avocats de Guadeloupe (Antoine Le Scolan et Gladys Democrite) avaient porté plainte dès juin 2024 auprès du Parquet National Financier (PNF) contre GBH et CMA-CGM en Juin 2024. La réception de la plainte n’avait alors été suivie d’aucun acte d’enquête. Il a fallu qu’en avril 2025, la plainte soit déposée avec constitution de partie civile pour que le PNF s’engage dans une enquête.
Au nom de qui portaient plainte les deux avocats ? La CGTG (syndicat ouvrier de Guadeloupe) et l’association MIR (Mouvement International pour les Réparations – Guadeloupe), dont l’objet est de mener des « actions en vue d’obtenir réparation des crimes contre l’humanité que furent les razzias régulières, la déportation et la réduction en esclavage des Africains ainsi que les autres crimes commis par les européens notamment le génocide des amérindiens lors de la colonisation des territoires des Amériques… ».
Il faut bien prendre conscience que du régime algérien aux non-alignés emmenés par Bakou, des organisations indépendantistes antillaises, guyanaises et calédoniennes réécrivent l’histoire et reconvoquent les heures les plus sombres pour mener une lutte sans merci contre des réussites françaises comme GBH et revendiquer rupture, autonomie totale et indépendance.
Ce nouvel épisode judiciaire d’un interminable feuilleton qui risque de durer des années pose des questions lourdes, profondes, presque existentielles pour notre démocratie économique.
Un groupe commercial peut-il, en France, et plus encore dans les Outre-mer, se développer, investir, créer des milliers d’emplois, structurer des filières entières, sans susciter des attaques d’une rare violence, nourries par la rivalité, la jalousie, le ressentiment, et trop souvent relayées, voire amplifiées, par des responsables politiques et des institutions qui devraient, elles, se garder de toute passion ? Peut-on encore réussir en France sans être aussitôt suspect, montré du doigt, essentialisé, réduit à une caricature morale et historique ?
Déjà en novembre dernier, le Groupe Parfait avait annoncé son intention de faire appel après l’amende infligée par l’Autorité de la concurrence de 7,6 millions d’euros pour non-respect d’engagements relatifs à la cession de l’hypermarché La Batelière. Le groupe dénonce une sanction disproportionnée.
Derrière GBH, Parfait et les autres, c’est l’économie fragile des Antilles qu’on veut donc abattre ?
Au-delà du cas d’une entreprise comme GBH, c’est donc une question plus large qui se pose : celle de la place des champions économiques locaux dans les territoires ultramarins et dans toute la France.
GBH est un acteur majeur du développement économique de ces territoires, où l’investissement privé est rare, risqué et peu attractif pour les investisseurs d’ici et d’ailleurs. Dans ce contexte de grande fragilité, cette nouvelle épreuve ne doit pas affaiblir un acteur utile à l’économie ultramarine. Et surtout, elle ne doit pas décourager un groupe qui, depuis plus de soixante ans, continue d’investir là où beaucoup choisissent de ne pas aller. Investir et soutenir ! On se rappelle l’extraordinaire exposition à Beaubourg, « Paris noir », largement soutenue par le groupe.
Avoir un champion local est une vraie chance, c’est garantir que les investissements profitent au territoire.
Il serait pourtant nécessaire que cette séquence trouve une issue dans les meilleurs délais. Il n’y a, en réalité, rien de plus fragile qu’une entreprise, quelle que soit sa taille et encore plus dans des territoires isolés peu attractifs. Depuis plusieurs mois, GBH fait face à un feu nourri de critiques et de mises en cause qui fragilisent l’équilibre même des entreprises, perturbent leurs trajectoires et pèsent sur leurs capacités d’investissement. À terme, cette instabilité peut décourager un acteur profondément enraciné dans son territoire. Ce contexte national et local, marqué par un réflexe anti-entreprise persistant, risque également de décourager d’autres acteurs économiques, présents ou potentiels, d’investir ou de s’engager durablement sur le territoire.
Il faut espérer que GBH et les autres PME du territoire puissent continuer à maintenir le même niveau d’implication dans la vie économique, patrimoniale, culturelle et sociale de l’île — un engagement essentiel à la vitalité et à la cohésion du territoire.
Justice et vérité
Bien sûr que la justice doit enquêter, en toute indépendance, en toute souveraineté. C’est son rôle, et nul ne le conteste. Mais la justice peut-elle faire abstraction des dommages collatéraux considérables causés par le tribunal médiatique, par cette mise au pilori permanente orchestrée par des médias résolument engagés, qui confondent investigation et militantisme, information et combat politique ? Peut-elle ignorer l’impact sur les salariés, sur les partenaires, sur l’image d’un groupe qui, avant même toute décision judiciaire, se retrouve déjà condamné dans l’opinion, sommé de se justifier non plus juridiquement, mais moralement, presque ontologiquement ?
De mois en mois, de crise en crise, il apparaît de plus en plus clairement que le Groupe Bernard Hayot subit dans les Outre-mer un traitement qui n’est pas sans rappeler, toutes choses égales par ailleurs, celui réservé au niveau national au groupe Bolloré. Même mécanique, mêmes ressorts, même logique de désignation de l’ennemi. Ceux qui réussissent, ceux qui incarnent une forme d’indépendance économique, ceux qui ne rentrent pas dans le moule idéologique dominant deviennent la proie de toutes les attaques, de toutes les suspicions, souvent profondément injustes, parfois blessantes, toujours déstabilisantes.
Enfin, il ne s’agit pas ici de dire que GBH aurait raison contre la justice, ni que toute critique serait illégitime. Il s’agit de rappeler un principe fondamental, non négociable, non relativisable : la présomption d’innocence doit profiter à tous, y compris à ceux que l’on n’aime pas, y compris à ceux qui réussissent, y compris à ceux qui dérangent. À défaut, ce n’est pas seulement un groupe que l’on fragilise, c’est l’État de droit lui-même que l’on abîme. Et cela, dans les Outre-mer comme ailleurs, devrait inquiéter bien au-delà des clivages idéologiques.
Il revient désormais aux conclusions du Parquet national financier de mettre un terme à cette séquence. Plus longtemps elle durera (et on peut le craindre avec les lenteurs de la justice), plus le tribunal médiatique local condamnera GBH. Le PNF a-t-il pris en compte un tel préjudice ?
Permettre de tourner la page et de restaurer la sérénité nécessaire à l’économie du territoire sont deux impératifs d’intérêt général.
L’ouverture d’une enquête n’est ni un jugement, ni une condamnation : c’est peut-être la réponse normale de l’État de droit face à des accusations répétées, publiques et médiatisées. Cette enquête est donc une étape nécessaire. Elle doit permettre de confronter les affirmations aux faits et surtout de lever les soupçons qui pèsent sur GBH.
Michel Taube et Radouan Kourak




















