Il aurait pu se voir confier l’enquête du siècle : retrouver les joyaux de la France et arrêter les malfrats qui ont éventé le plus grand musée du Louvre ! Séraphin Cantarel est le célèbre Conservateur en Chef des monuments français imaginé par le romancier Jean-Pierre Alaux. Un détective de la trempe d’un Columbo qui choie la France non avec sa fameuse Peugeot 403 mais en sillonnant les monuments de France.
Les éditions Toute latitude publient « Sur le pont Valentré, on ne dansera plus », une nouvelle enquête du détective sur le pont Valentré dans la bonne ville de Cahors. Et une fois encore, grâce à Séraphin Cantarel, son épouse et son assistant, le crime ne sera pas parfait ?
Opinion internationale a eu l’idée d’interviewer Séraphin Cantarel sur le casse du siècle au Louvre. Entretien avec son auteur Jean-Pierre Alaux.
Jean-Pierre Alaux, bonjour.
Bonjour.
Merci d’avoir accepté de répondre à Opinion Internationale, notamment à l’occasion de la parution aux éditions Toute Latitude de Laurent Tranier de votre nouveau polar, « Sur le pont Valentré, on ne dansera plus ».
Je ne sais pas vraiment si je m’adresse à Jean-Pierre Alaux ou au couple Cantarel d’enquêteurs que vous avez créés, ces détectives du patrimoine. Peut-être qu’ils existent réellement…
Il y a effectivement un phénomène d’identification naturelle. Ce livre est le huitième de cette série que j’ai initiée. Vous savez que je suis l’auteur du « Sang de la vigne », adapté à la télévision avec Pierre Arditi. J’en ai écrit vingt-cinq volumes, avec une passion pour le vin. Quand on est né à Cahors, c’est assez naturel.
À l’époque, publié chez Fayard puis chez 10/18, on m’a demandé de créer un nouveau personnage et d’aller vers un autre univers. J’ai une passion pour l’histoire et pour les pierres, donc cela s’est imposé.
J’ai imaginé une série sur le patrimoine, dans laquelle le héros est toujours un monument. Ce nouveau livre met en scène le pont Valentré à Cahors, l’un des plus beaux ponts médiévaux d’Europe, qui paraît robuste mais est aujourd’hui très fatigué. Il faut refaire la toiture, le tablier, certaines pierres se détachent.
Précisons qu’1 € par livre vendu est reversé à la Fondation du Patrimoine pour la rénovation du Pont Valentré de Cahors. Stéphane Bern vous soutient et nous le saluons pour son engagement pour le patrimoine français.
Comme dans les autres volumes consacrés au musée Toulouse-Lautrec à Albi, au château du Barry près de Biarritz, au Mont-Saint-Michel, à la cathédrale de Reims ou au phare de Ouessant, le monument est le héros. C’est un prétexte pour raconter son histoire et y installer une intrigue policière, avec le même soin que dans « Le sang de la vigne ». Et ce sont toujours Séraphin Cantarel, sa femme Hélène et son assistante Théo qui dénouent l’affaire, souvent au nez et à la barbe de la police.
Justement, monsieur Alaux – ou Séraphin Cantarel – j’ai une question. Comment résoudriez-vous la fameuse énigme du vol des bijoux volés au Louvre ?
Je ne sais pas si Séraphin pourrait résoudre l’affaire, mais s’il disposait du pouvoir que je lui donne dans mes romans, il aurait immédiatement pointé un fait sidérant : l’absence de caméras de vidéosurveillance. C’est impensable.
Dans tout musée, il y a des failles, mais on y remédie, surtout quand on s’appelle le Louvre. Regardez au musée Toulouse-Lautrec d’Albi : trois tableaux ont été volés dans les années 1960-1970. Ils n’ont jamais été retrouvés. Le système de surveillance ne fonctionnait plus parce qu’un employé l’avait débranché parce qu’il se déclenchait à chaque passage de pigeons. C’est anecdotique mais vrai.
Vous me faites penser au film The Duke, morceau d’anthologie du cinéma britannique sur le sol réussi à la National Gallery de Londres en 1961. Dans cette histoire vraie, le benêt est le voleur. En France, c’est la direction du Louvre qui est le benêt, tant le désintérêt pour les questions de sécurité de la part de la direction est apparu au grand jour. Mais en France, personne n’est responsable de rien !
En effet, au Louvre, ce n’est pas un problème des années 1970 : c’est aujourd’hui que cela se passe. Et le couple Cantarel aurait été choqué par le manque de sécurité, qui traduit presque un mépris pour la richesse et la grandeur des œuvres exposées. Comment imaginer que la salle qui contient les plus beaux bijoux ne soit pas mieux protégée ?
Il existait auparavant un système plus sûr : si la vitre était fracturée, les bijoux tombaient automatiquement dans un caisson inviolable. Ce mécanisme a été supprimé au profit de vitrines plus esthétiques, mais beaucoup plus vulnérables. C’est incompréhensible.
On s’interroge aussi sur le personnel chargé de la surveillance. Il y a une tradition : au début du XXe siècle, on embauchait les anciens combattants de 14-18 comme gardiens de musées ou de phares. Cela a donné des situations absurdes, comme ce phare breton où l’on avait nommé un aveugle comme gardien. Il a fallu un incendie pour revoir la loi.
Aujourd’hui, on retrouve cette forme de défaillance au Louvre. On voit à la télévision des publicités pour protéger sa maison des cambriolages, et dans le monument majeur de Paris, on n’est même pas capable de mettre des caméras partout, notamment sur le balcon le plus vulnérable. C’est du Arsène Lupin. Si j’avais écrit cela en fiction, on m’aurait dit que ce n’était pas sérieux.
Est-ce que votre enquêteur aurait un conseil à donner à la police judiciaire, excellente par ailleurs, et qui a déjà bien avancé ?
Je pense qu’il y a eu complicité. Ou au minimum de nombreuses observations effectuées par les voleurs avant de louer la nacelle et de fracturer la fenêtre. Pour construire une intrigue, je partirais de cela. Et puis ce côté branquignole : laisser tomber la couronne de Jeanne ! Tout de même !
Ils ont été démasqués parce que des passants sur les quais de Seine ont alerté la police en voyant une scène étrange. Ce sont des gens extérieurs qui ont déclenché l’intervention.
Et puis, quand on a vu la directrice du Louvre répondre au Sénat… C’était pitoyable. On ne peut pas imaginer qu’une institution avec autant de salariés fonctionne de manière aussi défaillante. Cela reflète un problème général du fonctionnement public : on décide des plans, mais la mise en application est constamment reportée.
Je pense aussi, si vous me permettez, qu’il y a un désintérêt, voire un certain mépris pour les questions de sécurité. On se concentre sur l’histoire de l’art, sur la muséographie, sur les enjeux culturels – qui sont essentiels –, mais la sécurité, ce sont de basses œuvres sans intérêt de fond.
Exactement. On est tous d’accord pour enrichir les collections et dynamiser le musée. Mais quand on voit le poids du fonctionnement au regard des investissements dans les nouvelles acquisitions, on se dit que la sécurité des œuvres devrait être la priorité absolue.
Ce dysfonctionnement du Louvre reflète plus largement ce qu’on retrouve dans beaucoup de administrations : justice, musées, services publics…
Et regardez : le 14 novembre, une tentative de cambriolage a eu lieu au château de Fontainebleau. Et combien de musées de province subissent vols ou tentatives ? Deux par mois. C’est fou. On construit de nouveaux musées, on communique, mais on ne met pas la sécurité au centre de la politique muséale. C’est choquant.
Peut-être les enquêteurs du Louvre appelleront-ils le détective Séraphin Cantarel pour le consulter.
Propos recueillis par Michel Taube






















