
ENQUÊTE OPINION INTERNATIONALE : Sous couvert d’antiracisme et d’anticolonialisme, le média Paroles d’honneur (PDH), avec près de 100 000 abonnés sur Youtube, s’est imposé comme le nouveau laboratoire d’une idéologie où se mêlent islam politique, racialisme, antiféminisme et antisémitisme. Derrière le discours de l’émancipation se cache une mécanique d’enfermement communautaire dangereusement efficace, qui séduit une partie de la gauche radicale.
Né en 2017 dans le sillage de la campagne présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, Paroles d’honneur se voulait d’abord un média alternatif, un espace de parole pour les « racisés » et les « décolonisés ». En réalité, il s’est vite transformé en tribune d’endoctrinement où l’idéologie de la militante Houria Bouteldja, héritée du Parti des Indigènes de la République (PIR), règne sans partage. L’essayiste franco-algérienne, connue pour ses propos ouvertement antisémites et homophobes, y propage une pensée identitaire qui oppose systématiquement les « Blancs » et les « non-Blancs », les « colonisateurs » et les « colonisés ».
Sous prétexte de « faire entendre la voix des quartiers », Paroles d’honneur a peu à peu construit une véritable contre-société idéologique, où se croisent anciens militants du PIR, islamo-gauchistes et figures de la mouvance décoloniale, mais aussi des profils issus de l’extrême-droite soralienne. Car dans la galaxie Bouteldja, tout se justifie par la lutte contre « l’État blanc colonial ». Même les alliances les plus improbables.
Une idéologie du ressentiment
L’analyse du contenu de Paroles d’honneur (émissions Twitch, conférences, tribunes ou vidéos) révèle une constante : la réhabilitation d’un discours racialiste, complotiste et victimaire. Dans ses textes, Houria Bouteldja ne dissimule pas sa fascination pour les « masculinités racisées », érigées en rempart contre la « domination blanche » et le « féminisme hégémonique ». Pour elle, la virilité des hommes musulmans serait une « résistance politique » face à l’Occident décadent.
Cette idéologie, qu’elle appelle « décoloniale », reprend en réalité des schémas de pensée réactionnaires, parfois directement inspirés des thèses d’Alain Soral, dont elle est une ancienne adepte. L’idée centrale est de rallier les « barbares » et les « beaufs » (du nom de son dernier livre édité aux éditions La Fabrique), autrement dit les hommes racisés et les prolétaires blancs, contre les élites progressistes et féministes. Cette vision repose sur une hiérarchisation des dominations : les luttes antiracistes doivent primer sur les combats féministes ou LGBT, jugés « blancs » et « bourgeois ».
Ces cyber-intellectuels s’adressent à un « peuple musulman de France », chantre d’un islam populaire dans lequel les cellules du parti communiste sont remplacées par les mosquées pour « former » les jeunes de quartiers.
Résultat : un discours profondément patriarcal et rétrograde, où les violences faites aux femmes sont relativisées, où l’homosexualité est considérée comme une « déviation occidentale », et où l’antisémitisme est maquillé en « antisionisme révolutionnaire ».
Les vidéos de Paroles d’honneur en sont remplies. On y nie les viols commis par le Hamas, on salue la « virilité résistante » des combattants palestiniens, on raille les féministes « blanches », et on réduit les luttes LGBT à un « outil du capitalisme libéral ». Derrière le vernis universitaire, c’est une véritable idéologie de la réaction qui s’exprime.
Dans ce corpus, une colonne vertébrale se dégage : l’« alliance stratégique » entre « barbares » et « beaufs », revendiquée et théorisée par Bouteldja. Elle postule que les hommes racisés, présentés comme « réactionnaires » par la violence subie, et les hommes blancs « déracinés » partageraient un même ressentiment contre la modernité, la laïcité et le féminisme. Cette mise en récit conduit à tolérer, voire à valoriser, une « part lumineuse de la virilité », formule qui sert de passe-droit à des discours sexistes et homophobes, au nom d’une priorité absolue donnée à la lutte « anticoloniale » contre l’État-nation. Les dominations « horizontales » (violences faites aux femmes, aux minorités sexuelles) sont subordonnées aux dominations « verticales » (État, police), quitte à nier des réalités massives.
Un noyau dur : Houria Bouteldja, Youssef Boussoumah, Wissam Xelka, Sabrina Waz…
Autour d’Houria Bouteldja s’est formé un noyau militant structuré, à la croisée du décolonialisme, du communautarisme et de l’islam politique. L’ancien du Parti des Indigènes de la République Youssef Boussoumah s’y distingue par un discours ouvertement pro-iranien et islamiste, glorifiant sur X les « héros du Hamas » et dénonçant les « sionards » qui « contrôlent les médias ». Se disant « antisioniste mais pas antisémite », il masque mal une obsession haineuse pour Israël et une rhétorique importée du Moyen-Orient.
À ses côtés, Wissam Xelka (de son vrai nom Wissam Bengherbi) représente la figure montante du courant indigéniste. Également streameur pour Zawa Prod (collectif de streamers proches de LFI) et doctorant en sociologie, il milite pour la création d’un « vrai islamo-gauchisme » articulé autour de « cadres communistes musulmans ». Lors de l’université d’été du média Paroles d’honneur, il appelait à « reconstruire une organisation communiste populaire à partir des classes musulmanes dominées », assimilant les mosquées à « des cellules du PCF des années 1950 ».
Personnalité colérique et provocatrice, il s’est aussi illustré par un « tu fermes bien ta petite gueule » accompagné d’un doigt d’honneur adressé au maire PS de Montpellier Michaël Delafosse, ou par des diatribes anticapitalistes conclues… par une commande Uber Eats en direct. Dans ses lives, la dialectique anti-« islamophobie d’État » se double d’attaques ad hominem, d’une surenchère verbale et d’une stratégie assumée d’entrisme à gauche, où l’objectif est d’imposer la grille raciale au détriment de l’universalisme.
Des relais communautaristes médiatiques
Mariam, jeune présentatrice de Paroles d’honneur, complète ce cercle avec une parole plus provocatrice que journalistique : justifications de l’antisémitisme sur les réseaux sociaux, complaisance vis-à-vis de propos homophobes ou entretiens dociles avec des cadres de LFI. Enfin, la journaliste Sabrina Waz a contribué à enflammer les réseaux en janvier dernier en affirmant que « La France insoumise est le parti des Arabes », saluant la formation de Mélenchon comme « la seule qui parle bien des Arabes et reconnaît leur lutte pour la dignité ». Lors d’une émission de Paroles d’honneur en présence du député LFI Antoine Léaument, gêné par le propos mais sans le contredire, elle a revendiqué cette formule face à un contradicteur RN qu’elle aurait rencontré, expliquant que LFI serait, « à l’état actuel », la seule force politique à « s’adresser correctement » à cet électorat et à reconnaître la lutte contre « l’islamophobie » comme une lutte « pour la dignité ». L’extrait, massivement relayé sur X, a déclenché une volée de réactions : à droite, le numéro 2 de LR François-Xavier Bellamy y a vu l’aboutissement d’un « clientélisme » communautaire ; chez certains observateurs, la gêne d’Antoine Léaument sur le plateau a été relevée comme le signe d’une stratégie difficile à assumer publiquement. Pour ses soutiens, Sabrina Waz assume au contraire une « realpolitik » arabo-identitaire destinée à fédérer un bloc électoral spécifique autour de LFI ; pour ses détracteurs, elle valide explicitement une lecture ethnico-politique du vote de gauche.
Entre stratégie d’entrisme, victimisation identitaire et fascination pour l’islam politique, ces figures forment l’ossature idéologique du courant décolonial. Leur objectif commun : transformer la gauche en relais assumé d’un communautarisme politique qui défie ouvertement les fondements universalistes de la République.
Un héritage direct du PIR, des mots d’ordre aux méthodes
Derrière une politique qui se revendique décoloniale, antiraciste, anti-impérialiste voire marxiste, Paroles d’honneur, héritier du Parti des Indigènes de la République (PIR), cache son jeu communautariste. Il y a une quinzaine d’années, le PIR développait la même politique : attirer des descendants d’immigrés autour d’un combat « antiraciste » essentialisé. Le PIR n’est plus, mais Paroles d’honneur a repris le flambeau en l’idéologisant : productions théoriques opposant « Blancs » et « non-Blancs », frontière artificielle entre « petits blancs » et « Arabes/Noirs », lexique d’exclusion et d’assignation identitaire. La figure de Bouteldja, déjà au PIR, orchestre la continuité doctrinale : réhabilitation des appartenances « de race », dénonciation de la laïcité, suspicion systématique envers les mouvements féministes et LGBT qualifiés de « bourgeois, blancs, hégémoniques ». Sous ce vernis théorique, la mécanique est simple : fabriquer un « nous » contre « eux », en substituant la lutte des races à la lutte des classes. Une stratégie qui, paradoxalement, mime les méthodes de l’extrême droite racialiste que le courant prétend combattre.
Du communautarisme au politique : l’ombre portée sur la France insoumise
Le lien entre Paroles d’honneur et La France insoumise ne relève pas de la coïncidence. Depuis 2019, des députés comme Aly Diouara, Danièle Obono ou Ersilia Soudais se sont succédé sur le plateau du média. Loin d’y être contestés, ils y trouvent un public conquis. Le discours indigéniste se fond dans le langage insoumis : antisionisme, dénonciation d’un supposé « racisme d’État », critique de la laïcité et défense du Hamas comme « mouvement de résistance ».
Mais Paroles d’honneur ne se contente pas de séduire l’extrême gauche. Il infiltre insidieusement le débat public. Derrière ses concepts séduisants d’« amour révolutionnaire » ou de « solidarité décoloniale », se cache une entreprise d’inversion morale : les victimes deviennent coupables, les bourreaux des résistants. C’est tout l’art d’un communautarisme qui avance masqué sous les habits du progressisme.
La web TV revendique aussi des passerelles avec d’autres segments de la gauche radicale : NPA, Révolution permanente, collectifs altermondialistes. Au nom d’un antifascisme « décolonial » et d’un anti-impérialisme de principe, ces organisations acceptent de côtoyer une ligne qui relativise l’antisémitisme, détourne le féminisme et essentialise la société française. La vieille critique de SOS Racisme (accusé de clientélisme dans les années 1980-1990) sert désormais d’alibi à un clientélisme plus dur encore, structuré autour d’identités raciales et religieuses.
Ce rapprochement avec la nébuleuse décoloniale s’est encore accentué depuis le 7 octobre et pendant la campagne des européennes. LFI a décidé de faire de la question palestinienne son principal argument. « Ils essaient de séduire une partie de l’électorat avec un discours radical vis-à-vis d’Israël. Cela nourrit l’antisémitisme en France », dénonçait dans Le Point Caroline Yadan, députée Renaissance.
La surenchère rhétorique sur Israël leur attire la sympathie des militants de Paroles d’honneur. PDH assume être antisioniste mais assure ne pas être antisémite. Pourtant, la lutte contre l’antisémitisme est évidemment reléguée au second plan. Alors que, selon le Crif, les actes antisémites ont augmenté de 300 % depuis le 7 octobre 2023 sur la même période, que des étudiants juifs ont témoigné de leur mal-être, Jean-Luc Mélenchon ne semble pas voir le problème. « Contrairement à ce que dit la propagande de l’officialité, l’antisémitisme reste résiduel en France », écrivait-il, le 2 juin, sur son blog.
La respectabilité universitaire comme paravent
Rejetée en France pour ses dérives antisémites et homophobes, Houria Bouteldja a trouvé refuge dans les milieux universitaires américains. Ses livres (Les Blancs, les Juifs et nous et Beaufs et barbares) sont traduits et étudiés à Harvard avec le soutien d’universitaires militants comme Cornel West ou Ben Ratskoff. Là-bas, sa rhétorique est perçue comme une contribution à la « pensée post-coloniale ».

Ce succès international révèle une autre dérive : la complaisance du monde académique occidental envers les idéologies radicales, pourvu qu’elles soient anti-occidentales. On célèbre Bouteldja comme une intellectuelle « courageuse », tout en occultant ses déclarations sur les homosexuels (« la tarlouze n’est pas tout à fait un homme ») ou sur les Juifs (« on reconnaît un Juif à sa soif de se fondre dans la blanchité »).
Cette légitimation par les campus américains nourrit le prestige de Paroles d’honneur, qui peut se présenter comme un média « intellectuel et décolonial ». En réalité, il recycle les vieilles recettes de la propagande : désigner des ennemis, essentialiser les identités, cultiver la haine sous le masque du militantisme.
Le laboratoire des dérapages : des plateaux aux mots d’ordre
Au fil des heures d’antenne, une même mécanique se répète. D’abord l’installation d’un cadre « théorique » qui naturalise les appartenances (« Blancs », « indigènes ») ; puis l’effacement des contradictions internes (silence sur les minorités de genre, minimisation des violences intracommunautaires) ; enfin, la désignation d’adversaires politiques à « nommer » et « isoler ». La séquence Judith Butler de mars 2024, où l’universitaire américaine qualifie l’attaque du 7 octobre « d’acte de résistance armée » (en instillant le doute sur les viols) est emblématique : applaudie par un parterre de militants, elle sert de caution intellectuelle à une ligne qui nie l’évidence quand elle contredit la cause.
Autre exemple : invité le 7 novembre dernier sur Paroles d’honneur, l’humoriste Djamil le Shlag a tenu des propos d’une rare virulence, affirmant « avoir peur lorsqu’il est entouré de Blancs » et conseillant de « ne jamais aller seul dans un endroit où il n’y a que des Blancs », avant de revendiquer ouvertement une discrimination à l’embauche dans son entreprise, déclarant ne recruter que « des Arabes et des Noirs » pour « mettre en avant les siens ». L’émission, loin de contester ces déclarations, les a relayées sans nuance, révélant la complaisance d’un média où la radicalité raciale tient lieu de discours politique.
Une fabrique politique assumée
Paroles d’honneur se dédouane de tout communautarisme en expliquant que leur but est que les « petits blancs » ouvrent les yeux sur l’impérialisme, et que les immigrés « fassent ouvrir les yeux » aux Blancs sur le capitalisme. Mais tout, dans la pratique, dément ce storytelling : c’est une politique de l’entre-soi, un « eux contre nous » qui substitue l’assignation raciale à l’analyse sociale.
Ce parti pris rencontre une oreille complaisante chez LFI, devenue la perspective politique de ce milieu. Après le PS des années SOS Racisme, l’insoumission version 2020 reprend le logiciel clientéliste en y ajoutant une charge identitaire inédite. Les convergences programmatiques (contestation de la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école, dénonciation de la « laïcité hégémonique », centralité de la cause palestinienne) sont trop nombreuses pour relever du hasard. La phrase de Bouteldja, « Mélenchon est notre butin de guerre », n’était pas une saillie : c’était un programme.
La dérive morale d’une gauche déboussolée
Le succès de Paroles d’honneur en dit long sur la faillite idéologique de la gauche française. Incapable de proposer un discours universaliste, elle s’est abandonnée à une logique de clientélisme communautaire. Là où SOS Racisme prônait jadis la fraternité entre les peuples, Bouteldja et ses disciples cultivent la séparation, la hiérarchie et le ressentiment.
Le danger n’est pas seulement moral : il est politique. En tolérant, voire en fréquentant, les milieux de Paroles d’honneur, une partie de la gauche radicale banalise un discours qui justifie la violence, relativise l’antisémitisme et nie les droits des femmes. Sous couvert de décolonisation, elle valide une recolonisation des consciences.
Paroles d’honneur n’est pas un simple média militant : c’est une fabrique d’idées un foyer d’endoctrinement où s’élabore une pensée de rupture avec les valeurs républicaines. En substituant à la lutte des classes une lutte des races, en glorifiant la virilité contre le féminisme, en troquant la laïcité pour la religiosité identitaire, ce mouvement contribue à fracturer la société française.
Ce qui se joue là dépasse les querelles partisanes : c’est l’avenir du modèle français d’universalité et d’égalité. Derrière la façade « antiraciste », Paroles d’honneur rejoue les vieilles haines du XXe siècle, maquillant la réaction en révolution.
Radouan Kourak,
Journaliste, producteur et entrepreneur

















