Edito
04H29 - samedi 8 novembre 2025

Voile islamique sur des jeunes filles à l’Assemblée : quand la République baisse les yeux. La chronique de Thierry Gibert

 

Voile islamique sur des jeunes filles à l’Assemblée : quand la République baisse les yeux. La chronique de Thierry Gibert

Le 4 novembre 2025, un groupe d’élèves voilées ont pris place dans les tribunes de l’Assemblée nationale, en pleine séance des questions au gouvernement.

Ce groupe a été invité par l’équipe parlementaire du député Marc Fesneau (MoDem, Loir-et-Cher) dans le cadre d’un projet scolaire intitulé « Démocratie et citoyenneté ».

Les images ont provoqué une onde de sidération : jamais, dans l’histoire parlementaire récente, un tel symbole n’avait franchi le seuil du Palais Bourbon.

Cette scène n’est pas sans rappeler celle des collégiennes voilées de Creil, en 1989, qui avait marqué le point de départ du débat contemporain sur la laïcité à l’école. Trente-six ans plus tard, c’est au cœur même du Parlement que la République se retrouve mise à l’épreuve.

 

Une règle républicaine ancienne et claire

La règle n’a pas changé depuis 1958. L’Instruction générale du Bureau de l’Assemblée nationale est explicite :

« Pour être admis dans les tribunes, le public doit porter une tenue correcte. Il se tient assis, découvert et en silence. »

Le mot découvert signifie tête nue, sans couvre-chef. Casquette, bonnet, chapeau ou voile : tous relèvent de cette même exigence.

Le texte ne vise pas les vêtements religieux dans leur ensemble : une abaya, une djellaba ou tout autre habit à connotation religieuse n’est pas prohibé tant qu’il ne couvre pas la tête. Le voile, en revanche, cumule les deux dimensions : c’est à la fois un vêtement religieux et un couvre-chef.

C’est précisément ce qui en fait un objet de litige symbolique dans l’enceinte d’une institution républicaine.

 

Une entorse difficile à expliquer

Deux scénarios seulement peuvent expliquer cette entorse : soit ces jeunes filles sont entrées voilées et les huissiers ont fermé les yeux, soit elles ont revêtu leur voile après leur installation, transformant une visite scolaire en provocation soigneusement préparée.

Dans les deux cas, c’est l’institution qui a failli, car le voile, ici, n’était pas un simple symbole religieux : c’était un marqueur politique, exhibé dans un lieu consacré à la souveraineté nationale.

 

Quand la justice rappelle le sens des mots

La cour d’appel de Paris l’a d’ailleurs reconnu en 2024, en relaxant Mohamed Sifaoui, poursuivi par Latifa Ibn Ziaten pour avoir qualifié le voile de « vêtement islamiste ».

Les juges ont estimé que cette expression relevait de la liberté d’opinion et correspondait à « une réalité idéologique reconnue ».

Quand la justice valide qu’un signe religieux peut être un marqueur politique, comment l’Assemblée peut-elle encore feindre de ne rien voir ?

 

 La réaction politique : maladresse et banalisation

La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a réagi le 5 novembre en fin d’après-midi, plus d’une journée après la diffusion des images.

Dans un court communiqué, elle s’est dite « choquée » et a annoncé l’ouverture d’une enquête interne. Depuis, aucun rapport n’a été publié, aucune mesure rendue publique.

Parallèlement, le député Marc Fesneau (MoDem, Loir-et-Cher) a confirmé avoir invité, dans le cadre d’un projet citoyen, des élèves d’établissements privés de sa circonscription, dont certaines portaient le voile.

Il a reconnu comprendre que cette présence puisse « choquer », tout en rappelant que la loi ne l’interdit pas pour les mineures dans l’espace public et que la règle de 2004 ne s’applique pas aux établissements privés.

 

En réduisant la question à un simple débat juridique, il occulte l’enjeu fondamental : celui de la transmission des valeurs communes et de la neutralité dans l’espace public.

Les réactions venues d’une partie de la gauche ne sont pas plus rassurantes. Plusieurs députés ont dénoncé une « polémique artificielle », arguant que ces jeunes filles « n’avaient enfreint aucune loi ».

D’autres ont invoqué la « liberté de conscience » pour justifier le port du voile dans l’hémicycle, comme si la laïcité consistait à accueillir tous les signes particuliers au sein du lieu qui incarne l’universel.

C’est une inversion des principes : la laïcité protège les convictions ; elle ne les met pas en scène.

En confondant la neutralité de l’État avec la tolérance envers les marqueurs religieux, ces élus participent, eux aussi, à l’effacement progressif du cadre républicain.

La République n’interdit pas les convictions, mais elle refuse qu’elles deviennent un marqueur d’appartenance.

En présentant le port du voile chez des mineures comme un fait anodin, ces responsables politiques banalisent un symbole qui, dans de nombreuses sociétés, sert à séparer les femmes des hommes et à rappeler aux unes la place que d’autres leur assignent.

Dans notre universalisme républicain, on ne promeut pas l’étendard d’une idéologie qui subordonne : on défend la liberté de celles qui s’en affranchissent.

 

Pour la République, l’heure des actes

Ce qu’il faut désormais, c’est de la clarté et du courage.

Publication immédiate du rapport de la Questure.

Sanctions disciplinaires contre les agents ayant manqué à leur devoir.

Et pour l’avenir, engagement ferme : plus aucune structure refusant la neutralité vestimentaire ne doit être admise à l’Assemblée nationale.

La République n’a pas besoin de mots ; elle a besoin d’actes.

Et tant que ces actes ne viendront pas, c’est elle qui baissera les yeux.

 

Thierry Gibert 

Âgé de 53 ans, Thierry Gibert vit à Aurillac dans le Cantal. Délégué Départemental de l’Éducation Nationale du Cantal, il est formateur « Valeurs de la République et Laïcité » en région Auvergne-Rhône-Alpes, responsable syndical départemental, président de l’association Union des famille laïques du pays d’Aurillac, fondateur du collectif citoyen En Avant Aurillac. Il s’exprime à titre personnel dans les colonnes d’Opinion Internationale.

Thierry Gibert

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