Edito
06H38 - jeudi 6 novembre 2025

« Défendre nos couleurs, c’est produire Made in France » : le livre et l’interview d’Yves Jégo

 

« Défendre nos couleurs, c’est produire français ! » Le livre et l’interview d’Yves Jégo

Opinion Internationale : bonjour Yves Jégo, merci d’avoir accepté de nous répondre. Ancien ministre, fondateur de la certification Origine France Garantie et cofondateur de La Lettre du Made in France, vous publiez aujourd’hui un ouvrage intitulé « Défendons nos couleurs » aux éditions Tricolores, maison d’édition que vous créez à l’occasion du salon du Made in France qui se tient à Paris du 6 au 9 novembre et à l’occasion duquel la fodnatrice Delahaye nous a accordé un entretien. Vous êtes aujourd’hui l’une des voix majeures de la défense du produire en France.

Avant de parler des solutions, comment a-t-on pu, en un demi-siècle, perdre à ce point notre souveraineté industrielle ? Qu’a-t-on raté ?

Yves Jégo : nous avons eu un patronat très sensible à la mondialisation. On a cru à l’entreprise sans usine. En 1984, Serge Tchuruk en rêvait. On pensait qu’on pouvait garder les ingénieurs, les designers, les cadres… et faire fabriquer à l’autre bout du monde. L’Europe s’est aussi endormie pendant que la Chine s’éveillait. Nous avons dépecé notre Europe industrielle au moment où la Chine décollait. I Pendant ce temps, les pays émergents ont appris. Ils ont appris de nos ingénieurs, il ont imité notre design et désormais ils ont l’avance technologique. Regardez l’automobile : il y a dix ans, les voitures chinoises avaient dix ans de retard sur nos modèles français et allemands. Aujourd’hui, elles ont dix ans d’avance. En abandonnant nos usines, on a fini par tout perdre.

 

Vous avez remis le 28 mai dernier au gouvernement un rapport sur l’origine des produits vendus en France. Quelle en est la mesure la plus importante ?

La mesure phare est simple : imposer le marquage obligatoire de l’origine sur tous les produits vendus dans l’Union européenne. Les États-Unis le font, le Canada le fait, le Japon le fait. Comment voulez-vous que les gens achètent de manière responsable si on ne leur dit pas la provenance de ce qu’ils achètent ?

On parle de la voiture la plus vendue en France, mais on oublie de dire qu’elle est fabriquée en Turquie.

La liberté du marché suppose la responsabilité de l’acheteur. Aujourd’hui, on le dispense de cette responsabilité.

 

Est-ce qu’il faut aller plus loin que la transparence, et assumer une forme de bras de fer économique, notamment face à Shein ? Sur BFM TV, vous avez demandé une fermeture administrative de Shein ? Vous êtes prêt à une guerre économique avec la Chine ?

Vous êtes bien Français ! Vous voulez l’idéal avant de vouloir le possible. Il faut garder un objectif exigent mais marchons vers l’idéal en actant de premiers pas forts. Dire à Shein « vous vendez des armes, des poupées pédopornographiques, on vous ferme pendant 3 à 6 mois », c’est affirmer une volonté de ne plus se faire marcher dessus et adresser un premier signal fort : nous ne serons pas la variable d’ajustement des excès de votre mondialisation. »

Mais oui le cap, c’est cet objectif exigeant : aucun produit qui ne respecte les normes européennes ne doit plus entrer en Europe Et pourquoi n’applique-t-on pas ce qu’on applique à n’importe quel commerce français ? Quand un commerçant vend quelque chose d’illégal, on ferme administrativement son magasin. 

 

« Défendre nos couleurs, c’est produire français ! » Le livre et l’interview d’Yves Jégo

Vous avez été ministre, député et maire de Montereau-Fault-Yonne. Vous serez d’ailleurs à nouveau candidat en mars prochain aux municipales. Vous demandez également que la commande publique de l’Etat, des administrations publiques et des collectivités locales privilégie la production française. C’est indispensable ?

Indispensable.

Les États-Unis ont voté une loi il y a un siècle : 50 % des marchés publics doivent être réservés aux produits made in America. En Europe, les marchés publics représentent 14 % du PIB. Si nous orientions simplement la moitié de cette somme vers des fabricants européens, nous changerions la donne : investissements, emplois, souveraineté seraient au rendez-vous.

Et si l’Europe n’avance pas, la France doit prendre les devants. Et, je vous le dis, les autres Etats membres de l’Union suivront.

 

Mais du coup, qu’attendent Sébastien Lecornu, le gouvernement et le Parlement, où une large majorité serait acquise, pour voter une telle loi de bon sens, quitte à aller au forcing encore une fois avec les normes actuelles et l’Union européenne ?

La France peut le faire et il faut arrêter de se cacher derrière son petit doigt, c’est-à-dire les fonctionnaires de Bercy et de Bruxelles qui invoqueront toujours des obstacles que seul le politique peut lever. Mais il faut aussi et surtout une vision. Les Italiens ont par exemple créé une marque et une Journée du « Made in Italy ». L’esprit « made in France » doit infuser dans les tous les corps et les décisions de l’Etat. Par exemple, à quelques semaines de Noël, je suis partisan de la prime de Noël mais uniquement pour acheter des produits made in France.

 

Dans une période si anxiogène, on sent parmi tous les acteurs du « made in France » un optimisme de l’action, un dynamisme, un mélange de joie et de fierté. Comment l’expliquez-vous ?

Parce que produire en France n’est pas seulement une politique économique : c’est un projet de société. Parce que produire, c’est ce qui nous rassemble.

Produire, rouvrir des usines, sauver des fermes, relancer les ateliers, c’est le projet collectif qui peut rassembler les Français. Ernest Renan disait : « Une nation, c’est avoir fait de grandes choses ensemble et vouloir en faire encore. »

Si nous réduisions nos importations de seulement 15 %, nous récupérerions 30 milliards d’euros dans les caisses de l’État. Ce n’est pas l’impôt qui sauvera le pays. Ce n’est pas la seule baisse de la dépense publique. C’est la production.

 

Qu’est-ce qui sépare votre discours pro-Made in France de la préférence nationale  du RN et de la droite nationaliste ?

Je ne fais plus de politique. Je n’ai plus de carte depuis 2018. Je veux juste convaincre tous les responsables politiques que la production doit être le cœur du projet national.

Ceux qui en feront leur priorité auront mon soutien, quels qu’ils soient.

 

Petite question presque anecdotique ou trop vintage : pourquoi défendre la France en utilisant une bannière anglophone, le « Made in France » ?

Si j’utilise volontairement le terme « Made in France » en anglais, c’est parce qu’il s’exporte bien. Défendre le fabriquer en France, ce n’est pas défendre une économie repliée sur elle-même. C’est défendre une valeur économique qui s’exporte dans le monde entier. Le Made in France est une stratégie internationale, pas une logique de frontière. C’est pour cela que je continue à l’employer en anglais : c’est compris, reconnu, et ça parle au monde.

 

Propos recueillis par Michel Taube

Directeur de la publication

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